boulevard of broken dreams / ft. Laurie

Encore une journée qui s'achève. Une journée si semblable aux autres, avec son lot de problèmes, et son lot de mystères. Des heures passés à essayer de trouver de nouveaux indices concernant la disparition de Georgie, et de nouvelles frustrations face aux échecs et aux fausses pistes. Deux ans à chercher et Gabriel avait l'impression de tourner en rond, sans aucun élément sur lequel se fonder - si ce n'est le surnaturel. Mais là encore, Jimmy et lui pouvaient difficilement annoncer à la police leurs trouvailles à ce sujet. On les prendrait de haut, comme tous les adultes le font face aux enfants. Comme s'ils étaient bien trop jeunes pour savoir de quoi ils parlaient. C'est la raison pour laquelle Gabriel faisait rarement confiance aux adultes, avec leurs airs supérieurs et leur impression de détenir la science infuse. Gabriel leur riait au nez, un doigt d'honneur pointé en leur direction.

Gabriel et Jim s'étaient réunis, comme à leur habitude, entre midi et deux pour discuter de leur avancée, mais également pour parler de leur idée de costume pour l'arrivée prochaine d'halloween. Tous deux essaiyaient d'avancer, refusant d'abandonner, mais ne délaissant pas leur vie pour autant. Enfin, plus ou moins. Jim avait certainement plus de chance que lui de ce côté là. La vie de Gabriel s'était toujours résumé autour de ses amis. En dehors de ça, il n'en avait aucune, ses parents ignorant complètement son existence. Et c'était sans doute la raison pour laquelle il en était arrivé là : à rentrer chez lui à pieds, des bleus sur le visage, et le froid le faisant frissonner. Des bleus du à des coups, lui qui avait foncé tête baissé dans le tas, histoire de protéger Jim, et défendre l'honneur de Georgie. Deux lycéens plus âgés, et bien plus costauds, venus les harceler, eux, les weirdos de l'école à l'ami disparu. Résultat des courses : Gabriel avait pris tous les coups, frappant du poing tout du long également. Il était loin d'avoir le corps idéal pour se battre, mais sa hargne et son obstination ne connaissaient aucune faille, lui causant plus d'ennuis qu'autre chose.

Son vélo cassé -gratitude de ces mêmes brutes sans cervelle- Gabriel était donc contraint de rentrer chez lui, à pieds, et à affronter la météo loin d'être clémente. Jim lui avait bien évidemment proposé de passer la nuit chez lui, mais il avait préféré décliner, ne voulant pas abuser de l'hospitalité de Mrs. Pillsbury plus que de raison. Surtout qu'avec ses terreurs nocturnes, il avait parfois l'impression d'être un poids immense pour eux, et ne souhaitait en aucun cas leur faire vivre un tel calvaire s'il pouvait l'en empêcher. Et puis, il passait bien plus de temps chez eux que chez ses propres parents. Une semaine sans les voir, et il savait qu'il devait rentrer, tôt ou tard. Non parce qu'ils finiraient par s'inquiéter, mais tout simplement parce qu'il restait leur fils, bien qu'ils semblaient oublier ce détail.

Le nom d’Amelia Pike était sur toutes les lèvres. Impossible d’échapper à son portrait, on commençait à décoller les avis de recherche pour placarder des condoléances, Amelia adressait le même grand sourire à quoiqu’onques tournait la tête vers ces macabres témoignages de ce qu’elle fut de son vivant. Ce serait mentir de dire qu’il la connaissait, elle évoluait dans d’autres sphères et jamais il ne lui avait été donné l’occasion de lui adresser la parole. Pourtant il s’était surpris à observer de longue minute ce visage qui depuis des mois tapissait les murs de la ville et hantait le poste de télévision. La disparition de l’adolescente avait fait du bruit, beaucoup de bruit, on s’était ému du triste sort de cette jeune femme sans histoires dont la beauté incandescente avait troublé une foule d’apprenties détective décidé à percer le mystère de sa disparition. Et bah voilà, les gars. Amelia Pike est morte. Amelia Pike aurait même été coupé en deux. Putain de monde.

Il pensait à ça à bord de sa voiture. Encore à elle. Par extension il pensait à lui. Peut-être bien qu’il traversait la plus étrange des étapes d’un deuil, celle du marchandage, ce drôle de moment où on se projetait dans la vie du défunt et qu’on en venait à se poser cette sinistre question : et si ça avait été moi ? Laurie n’avait pas de réponse si ce n’est qu’il craignait, - oui, craignait - que son éventuel décès ne fasse pas vraiment de vagues. Bien sûr certains seraient dévasté et il se refusait à penser à eux, comme à son ingrate habitude il se focalisait moins sur ceux qui l’aimaient que sur les indifférents, une espèce de foule informe dont il ne discernait pas tous les visages, passablement ennuyé d’apprendre la nouvelle. Certains auraient peut-être le culot de dire qu’ils l’avaient connu et s’en serviraient pour émouvoir l’auditoire, mais on enterrerait vite son souvenir. Amelia Pike avait un visage et un nom qu’on n'oublierait pas, elle.

Au milieu de la traversée de ces idées brumeuse, Laurie ralentit en reconnaissant Gabriel Mayfair à quelques mètres. Ce gosse il saurait le reconnaître entre mille, une espèce d’instinct qui faisait rire Marlon. Nom de dieu, une vraie maman. Son regard s’attarda sur le vélo du petit, cassé, et quand il arrêta enfin le véhicule à sa hauteur, il eut des sueurs froides en croisant le regard tuméfié de son protégé. Putain. Encore. Le conducteur pinça ses lèvres, ne fit pas de commentaires, il se contenta d’ouvrir la portière du côté passager et fit un signe au garçon d'entrer en serrant fort le volan pour s'empêcher d'exploser d'inquiétude. « Le coffre est ouvert, dépose ta bécane. Je te raccompagne. » Et il ne préciserait pas chez lui. Parce qu’il savait bien que la notion de famille, de maison, de toit, tout ça… C’était un peu abstrait pour Gabriel. L’endroit dans lequel il se sentait le plus en sécurité, c’était sûrement dans la forteresse en bois que Jim, Georgie et lui avaient construite au milieu de la forêt. Donc oui, il se contentait de le ramener entre les quatre murs d’un foyer qui n’était le sien que sur les documents officiels et ça le tuait de ne pas pouvoir faire mieux.