The house of broken dreams ♦ ft. Erick

Les portes du Blue Jupiter claquent derrière elle alors qu’elle s’avance dans la lumière aveuglante du début d’après-midi. Elle soupire, elle ne supporterait plus pour très longtemps de vivre dans ce motel délabré, mais trouver un logement s’avérait.. compliqué, avec un emploi comme le sien. Tout l’était, ces dernières années. Elle se retrouvait même parfois à regretter la simplicité des années avant son départ. A cette époque elle détestait cette sensation de voguer sur un long fleuve tranquille, redoutant l’ennui plus que toute autre chose, désormais elle se lasse de naviguer en eaux troubles. Dans ses oreilles, Marian Gold chante « It’s so hard to get old without a cause » et elle sourit à l’ironique vérité de ces mots.

C’est une belle journée,  étonnamment chaude pour un mois de novembre. Le premier soleil depuis qu’elle était de retour en ville, peut être un bon présage, probablement juste un hasard ou un anticyclone. On trouve encore sur les trottoirs des flaques de pluie de la veille dans lesquelles elle s’amuse à marcher ; elle l’avait toujours fait, ça embêtait ses parents.  Fut un temps, c’était un de ses objectifs principaux, alors l’habitude était restée. Splash, l’eau s’éparpille sur le trottoir pour être bientôt évaporée par le soleil. Elle met la main dans la poche de son manteau – trop chaud pour le temps d’aujourd’hui, mais qu’importe – et récupère son paquet de cigarettes. Presque vide, elle remarque en plaçant une clope entre ses lèvres, ennuyeux.

Elle allume son briquet d’un geste machinal ; le frottement de la pierre fait naître l’étincelle qui enflamme le gaz. Une fois sa cigarette allumée, elle s’arrête un instant, hésitante. Faire un détour par le centre d’Aster Cove pour racheter un paquet ou non ? Les 15 minutes de marche en plus ne la dérangeaient pas tant que l’idée de remettre un pied là-bas. Depuis son arrivée, elle ne s’était pas aventurée beaucoup plus loin que les abords de l’hôtel, préservant la douce illusion de n’être pas encore de retour au point de départ. Mais, un jour où l’autre il lui faudrait bien y retourner, et les deux gauloises qui lui restait ne tiendraient pas bien longtemps. Tant pis pour le déni, fumer était plus important, se dit-elle avec amusement, expirant une fumée blanchâtre dans l’air. De toute façon, elle n’était pas pressée, personne ne l’attendait.

Elle avait songé à appeler avant de venir, mais pour dire quoi ? « Hey, i’m back. » ? Il n’y avait pas grand-chose d’autre à raconter que ça, et elle pourrait toujours le lui annoncer en face – enfin, il serait probablement capable de s’en rendre compte seul à ce moment-là. Et puis les communications à partir du motel étaient hors de prix de toute façon. Alors elle avait décidé de se rendre directement chez lui et d’aviser à ce moment-là. Ca faisait une petite trotte depuis le Blue Jupiter, encore plus avec le détour, mais marcher ne la dérangeait pas et ce n’est pas comme si elle avait grand-chose à faire de ses journées. Cela faisait un peu plus de deux semaines qu’elle était de retour et la plupart de ses journées se résumaient à beaucoup de pensées et quelques cigarettes sur le balcon. Voir quelqu’un ne lui ferait pas de mal. Et s’il y avait une personne dans cette ville qu’elle ne souhaitait pas éviter à tout prix, c’était bien lui.

Erick Harper, elle se demandait ce qu’il était devenu. Etait-il seulement encore en ville ? A l’époque du lycée lui aussi avait des rêves démesurés dont il parlait, des étoiles dans le regard. « Let’s meet again at the top of the world », les derniers mots qu’il lui avait adressé avant son départ, elle espérait qu’au moins l’un d’eux y était arrivé. Elle se sentait presque nostalgique, tout d’un coup, elle ne s’était pas autorisée à revivre ces souvenirs depuis longtemps ; ceux des clopes partagées derrière le lycée quand les cours se faisaient trop ennuyeux. Durant ces moments-là, les paroles étaient aussi simples que les silences, c’était agréable. L’une des seules choses qui lui avaient réellement manqué une fois partie. Pourtant, même si elle souhaitait le revoir, elle espérait qu’il ne serait plus là, que lui au moins avait atteint ses rêves au lieu de se ramasser sur un trottoir en essayant de les poursuivre.

Des bruits de conversation la tirent de ses pensées ; les rues commençaient à se peupler, le centre n’est plus bien loin. Elle reconnaît des visages dans les groupes de gens qui la dépassent, certains semblent la reconnaître aussi. Elle rirait presque de l’étrangeté de la situation ; de retour là où elle disait qu’elle ne reviendrait jamais, à arpenter ces rues qu’elle connaît par cœur sous les regards étonnés des passants. Quelle ironie. Elle presse le pas en direction du bureau de tabac, déterminée à ne pas s’attarder plus que nécessaire, laissant des chuchotements des commères derrière elle. La nouvelle de son retour ne tardera pas à se répandre. Une courbe s’esquisse sur ses lèvres en songeant que ses parents auraient bientôt à répondre aux questions de leurs chers voisins. « Serves them well », elle murmure.

Le voilà, le bureau de tabac. Même mineure, elle venait y acheter des cigarettes, la gérante n’était pas trop regardante à ce niveau, l’argent a toujours raison ou quelque chose du genre. Elle pousse la porte et se retrouve submergée par la familiarité des lieux. Rien n’a changé, pas les bonbons sur le comptoir, pas les cartes postales que personne n’achète jamais, rien. La dame derrière le comptoir n’a pas changé non plus ; « As usual ? » elle demande, et Kay acquiesce, prise de court. Elle paie et récupère le paquet de cigarettes qu’on lui tend, la bonne marque, avant de sortir. Certaines choses ne changent jamais.

Portant une nouvelle cigarette à ses lèvres, elle se met en route vers le quartier Nord. Elle prend le chemin le plus long, à la fois car ça lui évite de passer devant chez e.. devant chez ses parents, mais aussi parce que ça lui laisse un peu plus de temps pour se préparer. Elle n’a pas vraiment réfléchi à ce qu’elle allait dire, s’il était là au moment où elle toquerait à la porte. C’était peut-être malvenu de sa part de venir à l’improviste, après tout ce temps… Mais elle ne saurait pas avant d’avoir essayé. Et pour quoi dire, une salutation suffirait. Il fallait espérer du moins. Elle avait déjà fait trop d’efforts pour se défiler maintenant, de toute façon. La silhouette du manoir se dessine déjà dans son champ de vision.

Elle n’y était pas venue plus de deux ou trois fois, de même qu’Erick n’était jamais allé chez elle. Ils passaient la plupart de leur temps dehors, à regarder le ciel s’enfumer de leurs cigarettes. La maison familiale, pour elle tout du moins, était un endroit à éviter autant que les cours de chimie de monsieur Graham. L’ambiance y était d’ailleurs presque la même. Toutefois, le manoir, même à une certaine distance, lui paraissait différent de ce son souvenir, moins bien entretenu, plus austère. Peut être bien qu’elle avait raison, que plus personne ne vivait ici désormais. Peut être qu’elle était venue pour rien. La pelouse jadis toujours verte et tondue formait maintenant un champ de mauvaises herbes, et certaines fenêtres semblaient même condamnées.

Une fois devant la porte, elle était convaincue que personne ne serait là pour l’accueillir. Et pourtant, lorsqu’elle toqua trois coups bref sur la porte de bois, elle entendit un bruit de pas venant de l’intérieur, un instant avant que la porte s’ouvre.

« Hey, I’m back. »

Le visage qui l’attend derrière la porte a définitivement un air familier, mais elle manquerait presque de ne pas le reconnaître tellement l’expression de son visage est.. fermée, dure ?Quelque chose  du genre. Pas la même que celle de ses souvenirs, en tout cas. Même dans les moments sombres elle n’avait jamais vu une telle froideur sur son visage. Après quelques instants de latence, une sorte de contentement vient métamorphoser ces traits, il l’a reconnue. En le voyant sourire, Kay sent ses lèvres s’incurver en un rictus similaire. C’est fou comme le voir fait remonter des tonnes de souvenir, agréables ceux-là.

« - Adkins ? Still cute I see. » Dit-il comme pour la saluer. Cela la ferait presque rire, être cute ne lui a malheureusement pas servi à grand-chose jusque là. « You’re out of death sticks or you’ve come for a drink ? Whatever. Come in. I’m glad to see you. We’ll have a lot to tell one an other. »
Ni l’un ni l’autre, cette fois, elle songe en réponse à sa question alors qu’il s’éloigne sans lui laisser le temps de répondre. Bien qu’un verre ne soit pas de refus. D’ailleurs, au vu de l’effluve d’alcool dans son sillage et de sa démarche vaguement chancelante, il n’en était pas à son premier. Elle ne se rappelait pas l’avoir déjà vu boire seul avant son départ, et la constatation lui fronça les sourcils. M’enfin, ce n’était pas ses affaires, et critiquer les habitudes de boisson de qui que ce soit serait l’hôpital qui se fout de la charité.

En entrant à sa suite, elle remarque les nombreux verrous sur la porte et se demande ce dont il veut se barricader à ce point, mais la question sera pour plus tard, elle ne lui a adressé que quelques mots alors commencer à l’interroger ne semble pas la meilleure des idées. Quoi qu’il en soit, il semble évident que quelque chose a changé chez son ancien camarade. Décidément, le temps écoulé depuis son départ n’avait été favorable pour aucun d’entre eux. Comme il l’avait dit quelques instants plus tôt, ils avaient beaucoup de choses à se raconter.

« - Make yourself home. »
Elle attrape au vol la bière qu’il lui envoie et s’assoit sur le fauteuil le plus proche du sien avant de pousser un soupir mi-soulagé, mi-épuisé. Le revoir, c’était un peu comme se sentir chez soi à nouveau. Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas sentie la bienvenue quelque part.
« What’s up ? »

La question est vaste, par où commencer ? Tant de choses se sont passées depuis son départ, pas grand-chose sur lequel elle ait envie de s’étendre pour autant. Se plaindre n’avais jamais vraiment été son genre de toutes façon. Elle retient un second soupir avant de se lancer :
« Well, seems like this place is the closest to the top of the world for me right now… Since I left everything has been a mess. As much as I wanted to get away, there was nothing for me out there, and by the time i came back there was nothing left for me here either. Now everything’s a mess. »

La réponse était vague, mais tout de même un assez bon résumé de la situation. S’il avait des questions il les poserait de toute façon. Mais désormais, elle était curieuse de savoir ce qui lui était arrivé à lui durant son absence. Car, de toute évidence, il s’était passé quelque chose. Elle prend une grande gorgée de sa bière avant de lui retourner sa question :


« So, what about you ? »