you will be found (laurie & georgie)

Lost Pine ㅡ November 3rd 1984 Et puis juste comme ça, Georgie est à Aster Cove. Pourtant il y a une seconde il… Il hum... Il était... Il essayait de… Merde… Où est-ce qu’il était ? Qu’est-ce qu’il faisait ? Ah il l’a sur le bout de la langue ! Assommé par ce changement brutal dont il n’a soudainement plus aucun souvenir, Georgie reste longtemps immobile entre les arbres, les pieds dans les feuilles mortes, complètement hébété par ce qui vient de se passer. Il observe la nature autour de lui, les feuilles qui frémissent au moindre coup de vent, la lune presque pleine au-dessus de sa tête, quelque chose dans l’air a changé. Malgré la pénombre, il reconnaît Lost Pine, sa respiration se calme peu à peu, tout va bien. Il lui faut un moment pour accepter cette réalité. Tout va bien. Il est en sécurité, à la maison. Georgie en rirait presque, c’est un concept qui lui semble totalement étranger…
Une fois la panique partiellement dissipée, Georgie réalise deux choses. La première, c’est qu’il n’a plus de chaussures. La deuxième, c’est qu’il a beau être frigorifié, il fait vraiment très doux pour un mois de février. Instinctivement, il se met à avancer. Comme si une petite voix en lui, lui répétait “Ne t’arrêtes pas. Ne t’arrête jamais. Si tu t’arrêtes, ils t’attrapent. Si tu t’arrêtes, tu meurs.” Il frissonne. Peut-être de froid, peut-être parce qu’avec cette pensée, une image de cauchemar est remontée des tréfonds de sa mémoire. Malgré la peur, Georgie s’accroche à cette image, à ce mirage de souvenir. Il sait au fond de lui que ce qu’il a oublié est important, mais il a beau retourner son esprit dans tous les sens, rien ne vient. Si ! Il se souvient d’hier soir, des cris de son père, du sang, il se souvient d’être en train de courir dans la forêt. Il a dû dormir toute la journée. Ça semble rationnel comme théorie, mais à des kilomètres de la vérité. Parce que Georgie est épuisé, bien trop épuisé pour quelqu’un qui aurait autant dormi. S’il s’écoutait, il se laisserait tomber dans un coin, il passerait la nuit là, ce n’est pas comme s’il tenait vraiment à rentrer chez ses parents de toutes façons. Il a peur de ce qu’il va y découvrir. Il se demande si sa mère sera là pour l’accueillir, pour l’embrasser sur le front et lui faire couler un bain chaud. Il se souvient de l’entendre tomber hier soir. Elle n’a pas crié.
Le temps semble être un concept que Georgie a totalement oublié. À un moment, il arrive sur un chemin, qu’il suit jusqu’à un petit parking, puis jusqu’à la route. Il n’a pas la moindre idée du temps qu’il lui a fallu pour parcourir ce chemin, il s’en fiche. Quelques voitures passent sans s’arrêter. La lumière de leurs phares lui brûle les yeux comme s’il n’avait pas vu de lumière depuis des semaines. Il couvre ses yeux, détourne le regard. Il remarque alors que les manches de son manteau lui arrivent au milieu de ses avant-bras et qu’il est recouvert de boue et déchiqueté à plusieurs endroits. Je vais me faire tuer ! Il panique. En suivant le bord de la forêt, Georgie arrive à un carrefour. S’il va à droite, il finira par rejoindre la ville, s’il va à gauche, il quitte tout, sa famille, son père, Ben, mais sa mère aussi et puis Gabriel et Jim. Georgie tourne à droite. Il ne survivrait pas plus d’une journée sans eux ! Une voiture passe puis une deuxième. Georgie se demande s’il sera comme eux quand il aura l'âge de conduire. Est-ce que lui aussi continuera normalement son chemin en voyant un gamin sur le bord de la route ? Il espère que non et comme si elle l’avait entendu, la deuxième voiture s’arrête et fait marche arrière.
“Ne fais pas confiance aux inconnus !” Il entend sa mère dire. Mais Georgie a mal aux jambes, mal aux pieds, il a faim et il a froid, alors il s’arrête et attend que la voiture soit à sa hauteur. Une boule se forme dans son ventre. Si tu t’arrêtes, ils t’attrapent. Si tu t’arrêtes, tu meurs. Il regarde la vitre se baisser et… sa mâchoire tombe. C’est Laurie. Laurie ! Georgie a l’impression de ne pas l’avoir vu depuis si longtemps qu’il en pleurerait presque ! Non, attendez. Il est en bel et bien en train de pleurer. Silencieusement les larmes coulent sur ses joues pendant qu’il le regarde sortir de la voiture, incapable de bouger. Georgie ne sait pas ce qui s’est passé depuis hier soir, mais ses réactions parlent d’elles-mêmes : rien de bon.

Lost Pine ㅡ November 3rd 1984 Enfoiré. Quelle saloperie de raclure. Incapable de se resaisir, Laurie traversait la ville sans idée de destinations. Il avait besoin de calmer ses nerfs, de rouler, alors il fendait la nuit à bord de son véhicule cabossé pendant que son vieux poste radio crachait ce qu'il lui restait dans le ventre. On reconnaissait vaguement un titre des Rolling Stone, un rythme un peu entêtant que le conducteur marquait en tapant furieusement son index contre le volant. Il secouait un peu la tête alors que des flashs du repas qu'il avait brusquement quitté lui revennaient en mémoire. Bien sûr, il aurait pu avoir une réaction plus mature. Plus raisonné. Qu'importe, ce type le mettait hors de lui et il ne comprenait pas comment son crédule de père ne s'en était pas encore rendu compte. Son père tient, parlons-en. Pourquoi fallait-il qu'il encense cet imbécile ? Pourquoi ne voyait il pas qu'il se faisait manipuler par le pire des escrocs et qu'il invitait à leur table un foutu opportuniste dépourvu de tout sens moral ? Laurie le voyait encore sourire en encensant la cuisine de Deirdre Thompson. Connard. Elle n'avait jamais été une reine des fourneaux et c'était bien pour lui faire plaisir qu'on avalait sans envie les plats qu'elle préparait à la petite famille. Crispant ses doigts autour du volant, il pila un feu rouge et souffla profondément. Si Alexander Bloomingdale était pourvu d'un talent, c'était bien celui de le faire sortir de ses gonds et ce soir il n'avait pas supporté de l'avoir plus longtemps sous son toit. Alors, prétextant qu'il avait à faire, Laurie avait emprunté sa voiture après avoir abandonné famille et convive entre le plat et le dessert. Peut-être bien qu'ils avaient ri à la minute même où il avait dépassé le perron de leur maison. Le pire, c'était imaginer Rita dévorer le blond peroxydé des yeux. Comme si le destin avait décidément beaucoup d'ironie à revendre, Cindy Lauper se mit à scander à la radio que s'il était perdu il pouvait la chercher du regard. Heure après heure.

If you're lost you can look and you will find me
Time after time

À bout, Laurie reprit la route en secouant la tête. Lost Pine. Comment est-ce qu'il était arrivé là ? Qu'importe, il continua de rouler.

If you fall I will catch you I'll be waiting
Time after time

Et puis... Il était là. Il voit ce gamin sur le bord de la chaussée et son cœur fit un bond. C'est quoi ce bordel. Il pile, jette un coup d'œil paniqué à son rétro viseur. Recule. Georgie. Georgie McGalaan est là. Laurie prit certainement plus de temps qu'il n'aurait fallu pour réagir, observe longuement le gamin les yeux esuarquillé et ce n'est qu'au moment où il réalise qu'il pleure qu'il bondit hors de la voiture et se précipite sur le petit. « Nom de dieu Georgie. » Laurie pose un genou à terre, hésite mais finit par entourer les bras du gosse avec ses mains. « Hé, ça va aller. Calme-toi. Ça va aller. » Ah bon ? Lui-même n'en était pas franchement certain. Sa voix tremblait, il avait l’air complétement stupide et continuait de dévisager le garçon sans en revenir. « T’es rentré Georgie, t’es à la maison ! » C’est tout ce qu’il trouva à dire pour tenter de l’apaiser mais il n’avaiy aucune idée du calvaire qu'il avait enfuré, pour le moment il était juste soulagé de le savoir en vie, tellement soulagé qu’il aurait pu se mettre à rire là, tout de suite, maintenant. Alors sans franchement réfléchir plus longtemps il le serra contre lui. Georgie était de retour, il n'y avait plus que ça qui comptait.

Lost Pine ㅡ November 3rd 1984 Ce n’est que quand Laurie le prend dans ses bras que Georgie réalise à quel point il s’était senti seul jusqu’à maintenant. Ça va aller, il répète et Georgie le croit. Parce que Laurie est plus grand, plus vieux, plus sage et qu’il n’a aucune raison de lui mentir. Laurie, il est tout ce que Georgie voudrait être, alors s’il dit que ça va aller, il n’a pas d’autre choix que de le croire, c’est comme ça. Mais quelque chose ne colle pas. Pourquoi Laurie serait-il au courant de sa fugue ? Une journée ce n’est franchement pas grand-chose, il a fait pire. Et puis pourquoi est-ce que sa voix tremble ? Pourquoi il le serre dans ses bras comme si lui non plus ne l’avait pas vu depuis des mois ? Ça n’a pas de sens. « T’es rentré Georgie, t’es à la maison ! » Georgie aurait envie de faire une blague nulle comme il le fait d’habitude. Une remarque faussement nonchalante qui ferait sourire Laurie. Quelque chose du style : je sais que tu m’adores, mais il va falloir apprendre à vivre un peu sans moi, mon grand. Mais Georgie a du mal à trouver sa voix et il a le sentiment que ce serait déplacé étant donné les circonstances. Quoi qu’elles soient. Du coup, faute de pouvoir se cacher derrière l’humour, il passe ses bras autour du cou de Laurie et serre aussi fort qu’il peut. Les larmes arrêtent de couler, il essuie ses joue du revers de sa main et il regarde le temps passer. Sans qu’il puisse s’en empêcher, il murmure, parce qu’il ne peut pas parler plus fort « Tu m’as manqué. » Même si ça n’a pas de sens. Même s’ils se sont vus la semaine dernière. Parce que c’est vrai, Laurie lui a terriblement manqué.

Plus tard, ils sont dans la voiture. Laurie allume la radio et au début, Georgie est surpris. Il ne s’attendait pas aux notes, aux mots, c’est comme s’il avait oublié ce qu’était la musique. Heureusement, ça lui revient vite, mais il reste confus, car il ne reconnaît pas les chansons qui tentent tant bien que mal de s’échapper des enceintes de la voiture cabossée. Peut-être une vaguement dans le lot. Et encore.
Il se laisse trimballer, sur une banquette qu’il connaît, avec quelqu’un qu’il connaît. La petite voix qui le mettait en garde tout à l’heure est toujours là. Ne t’arrêtes pas. Ne t’arrête jamais, elle répète, mais il décide de l’ignorer. Il garde les yeux rivés sur la route, mais régulièrement, il jette un petit coup d’œil à Laurie derrière le volant pour s’assurer qu’il n’a pas rêvé et qu’il est toujours bien là. Il a une multitude de questions qui se bousculent dans sa tête, mais par où commencer ? Il cherche. Longtemps. Pourquoi il n’y a pas de neige ? Est-ce que c’est juste moi ou t’as pris un petit coup de vieux depuis la semaine dernière ? Pourquoi tu me regardes comme si j’étais l’enfant Jésus ? Est-ce que t’as une idée de comment on peut prendre 15 centimètres en une nuit ? « Quel jour on est ? » Il demande finalement. Georgie n’est pas stupide et puis il a ce pressentiment, quelque part, il sait déjà. S’il croit être en février 82, il sait très bien qu’il n’a plus 12 ans depuis un moment. Combien même, il ne le saurait pas, il le verrait. Il est trop grand et sa voix déraille comme elle ne le faisait jamais avant. Pourtant, il n’est pas mal à l’aise dans ce corps. Enfin… Si, l'adolescence a tendance à vous faire ça, mais il n’est pas mal à l’aise comme s’il venait de se métamorphoser. Ses manches trop courtes, sa voix, cette quinzaine de centimètres qu’il n’avait pas hier et ses cheveux trop longs, tout ça a quelque chose de familier, de normal. Mais ce n’est pas possible ! Une voix lui dit dans sa tête. Il ne l’écoute pas, toutes les théories qui lui viennent à l’esprit le sont.

Lost Pine ㅡ November 3rd 1984 La voiture s’enfonçait dans la nuit, cahotait sur la route irrégulière qui liait Lost Pine à Aster Cove. Les doigts fermement enroulés autour de son volant, Laurie ne pouvait se retenir de jeter des coups d’œil au siège passager comme s’il craignait que, là, sous ses yeux, Georgie puisse à nouveau se volatiliser. Le cœur battant, il peinait à afficher un visage serein ou même à trouver les mots pour rassurer l’enfant. L’enfant qui n’en était plus un, il avait pu se rendre compte lorsqu’il s’était retrouvé face à lui, Georgie tout comme Gabriel était maintenant un petit homme qui finirait un jour ou l’autre peut être par le dépasser. Nom de dieu. Il était de retour. Tout comme Phil, Nora et Walter, Georgie était réapparu sans crier gare. Le conducteur aurait voulu le rassurer, lui jurer que tout allait bien se passer mais ce n’était pas une promesse qu’il pouvait décemment lui faire car comment en être certain ? Le gamin dont on avait épinglé le visage sur toutes les bouteilles de lait était de retour et à coup sûr, sa famille de détraqué allait s’en servir pour émouvoir la foule. Ils allaient le brandir devant toutes les camera de la région pour toucher une audience toujours plus large et espéré gagner un peu d’attention. L’idée le révulsait et il avait la sensation en le conduisant au commissariat de le trahir. L’idée saugrenue de le planquer dans la cabane des mousquetaires lui avait bien traversé l’esprit, mais il n’aurait jamais été capable de mener à bien ce projet complétement idiot. Georgie devait retrouver sa famille. Mieux, il devait retrouver ses amis. Imaginer les visages de Gabriel et Jim était bien la seule chose qui réussissait à l’apaiser à cet instant.

Brisant le silence, la voix hésitante du gamin lui demanda bientôt la date du jour. Sans le vouloir, Laurie racla sa gorge en se ratatinant dans son siège, gardant prise sur le volant et rabattant ses cheveux en arrière avec sa main libre. « Georgie, est ce que… » Mais Laurie marqua une pause, passant son pouce ses lèvres en prenant soin de choisir les mots qu’il s’en allait employer. Chose dont il n’avait jamais eu l’habitude. « Écoute gamin, je ne veux pas que tu paniques. Tout va bien se passer, compris ? Je veux dire, tu n’es pas seul. Tu ne le seras jamais. » Mécontent de son préambule qui loin de rassurer son interlocuteur risquait même de le faire paniquer, il s’employa d’enchaîner en lui jetant un coup d’œil. « On est le 3 novembre 1984. Ne panique pas ! » S’emporta-t-il. Manifestement si quelqu’un paniquait dans cette voiture, c’était lui. Avait-il réellement bien fait de lui dire ? Était-ce à lui de le faire ? Ne manquait-il pas de complétement perdre son petit passager en étant si brusque ? « Écoutes, écoutes… » Poursuivit-il en peinant toujours plus à garder le contrôle de ses émotions. « Tu peux me demander ce que tu veux, je ne suis pas sûr d’avoir les réponses mais… C'était le plus dur à entendre. Maintenant ça va aller. D'accord ? » Ca va aller. Se répéta-t-il pour lui-même, cherchant le regard du passager.