(Flashback) Do you know you made me cry?

Octobre 1982

animal instinct
(theme song)

« SALLY TU PEUX PAS LA METTRE UN PEU PLUS FORT TA MUSIQUE NON? J’EN AI MARRE DE TON JUST CAN’T GET ENOUGH » Jack tapa trois fois d’affilée dans le mur, trois fois. Il sentait que c’était nécessaire, que s’il ne le faisait pas le fusible à l’intérieur de son cerveau, quelque part, allait péter. Le grognement entre ses mâchoires restait bloqué, emmuré, il ne voulait pas laisser le fil rageur dégouliner, tout simplement. La chaise tournait à le rendre malade, il la poussait du bout de sa converse, quand le col de sa chemise était soigneusement replié sur les bords de son pull, il tirait dessus et l’opération se répétait en boucle: Plié, déplié, plié, déplié...

Un tic nerveux sans doute, il observait mais rien ne le soulageait autant que le bruit du machin en métal dans le fauteuil qui se déboitait à chaque tour, il fermait les yeux, Jack, inspirait un grand coup. Quand il se mit à chantonner Depeche Mode, la boucle fut bouclée, le mur semblait se distordre sous ses yeux, les mains de Jack frottant ses yeux fatigués n’y changeaient rien. Depeche Mode résonnait encore à travers le mur, lui se tenait immobile maintenant, il sentait comme une tension dans l’air.

Le petit déhanché de sa mère dans la cuisine et ses mains savonneuses changeant de station pour une émission de cuisine lui revint en tête, il tentait de capturer l’image puis il la balayait la seconde d’après. Jack se concentre, le manque de sommeil lui monte jusque le sommet du crâne, le crayon retourne s’acharner sur la feuille à moitié blanche et couverte de gribouillis, des reproductions des monstres qu’il a vu dernièrement dans les cassettes à louer du vieux Mosley.
La veille crosse à terre l’attirait sans cesse, quoiqu’il arrive, il revenait aux mots très précis de son père sur la technique. Jack aurait eu plus de plaisir à écouter vingt-cinq heures du cours enregistré sur dictaphone de son professeur d’histoire, il s’interrompait encore. Il se rejoue les mots; Surtout le placement est important Jack, le placement de tes épaules, tu dois faire poids, avec tout ton corps. Tu voudrais pas défaire l’attaque hein? Faut que tu gagnes en muscle, t’iras au camp cet été, ouais ça me semble pas mal, hein, qu’est-ce-que t’en dis? Tu la veux cette bourse ou pas, tu m'écoutes ou-....

Le bruit pinçant monte dans les oreilles de Jack, il tourne la tête vers la chambre de Sally mais très vite, la lampe sur son bureau le fait tilter, la lumière éclaire presque toute la pièce, il a poussé le siège en arrière en craignant l'explosion de l'ampoule trop vieille, mais l'intensité s'estompe, et maintenant le coeur de Jack se débat à l'intérieur de sa cage thoracique.

Les lumières semblent renaître de leurs cendres. Une étincelle au milieu de cette fine couche de brume poussiéreuse qui occupe l’espace. Les yeux de Béatrice perce l’air, cherche une réponse dans le mouvement des flocons qui se baladent, son ombre caresse les murs dans une ronde interminable. Et les mots se détachent dans l’atmosphère alors que les contours d’une silhouette se dessinent. C’est hachuré, c’est brouillé, mais Béatrice, elle reconnaît ce timbre d’enfant pas tout à fait homme.


“J-Jack ? Jack, c’est toi ?”


Ses doigts dansent, incertains, et la présence de Béatrice se ressent comme un courant d’air dans ce monde réel qu’elle ne perçoit qu’à travers ce rideau protecteur. Mais ce visage, même flouté par des milliers de particules inconnues, Béatrice le reconnaîtrait entre mille. Jack, il avait les traits de son père, quelque part. Sévère, au niveau du front, les yeux brillants, le sourire facile qu’elle avait souvent vu sur les lèvres de sa soeur Magnolia, la fossette des Spencer, il était beau, son fils, et elle savait qu’il ne cesserait jamais de s’embellir avec le temps.

Béatrice, elle s’y risque, à approcher cette image. Elle s’y risque et tends les doigts, le plus proche possible, sans jamais atteindre la peau laiteuse de son enfant. Et l’ampoule ne cesse de briller, même à travers la brèche, et Béatrice s’en brûlait presque la main.


“Jack, mon coeur, c’est moi … C’est Maman ! Je suis là !”


Mais ses paroles meurent, comme les lumières d’une réalité plastifiée. Elles meurent, au creu de ce coeur maternel, incapable de réunir les âmes entre elles, condamnant la blonde à sangloter tandis que sa progéniture observait l’ampoule avec curiosité.

Jack le garçon fin, à la peau toute blanche, les traits encore parfaits, le nez tordu caractéristique, les yeux sombres, le sourire inoubliable des gens heureux. Tous ces détails qui sur une affiche de recherche d’enfant perdu feraient larmoyer la petite ménagère, celle qui ne portait pas le nom de Béatrice Kane, ne hantait pas la moitié des habitants, encore, quelques fois ils entendaient parler de la parfaite figure sur les radios apeurées, Jack songeait à diffuser le message au lycée mais il passerait sûrement pour un idiot. Il valait mieux tenir bien proprement les détails de son personnage, continuer à crier sur Sally pour ses goûts musicaux douteux, le déclic viendrait plus tard Jack, il ne fallait pas en douter.

La pièce est si lumineuse, il en perd le souffle, distingue à peine la couleur du papier-peint: « Ça va péter! » S’exclame Jack, il est alors convaincu que son père va débarquer et lui dire qu’il compte couper le courant, regarder ce qu’il se passe. Il ne peut que fixer l’ampoule folle et serrer le crayon entre ses doigts, sa main devenant rouge par instants. La lampe s’allume aussitôt qu’elle s’éteint, il n’a jamais vu ça, même en cours de physique, il tente est tenté de débrancher le fil électrique mais sans qu’il ne s’explique pourquoi, il est fasciné, il reste là à fixer l’objet comme un insecte s’approcherait d’un lampadaire en plein milieu de la nuit, dans l’allée la plus vide.

La chambre soudain se retrouve dans le noir, il avait tiré le volet pour pouvoir regarder de vieilles pellicules, il déglutit, puis doucement la lumière revient, par battements presque il y reconnait un rythme, il attrape son walkman et en retire la cassette pour la planter dans le lecteur et mettre New Order en route, Age of Consent retentit plus fort que le coeur de Jack en plein milieu d'un couplet et il se calme. Et il se calme. « PAPA! Y A UN PROBLÈME AVEC MA LAMPE! »

I saw you this morning, I thought that you might like to know
I received your message in full a few days ago
I understood every word that it said
And now that I've actually heard it, you're going to regret...