Le chaos est quelque chose de particulier. Ses effluves vous entourent, vous étreignent, vous étouffent, puis vous tuent. Ou alors, vous apprenez à vivre sous respirateur artificiel. C'est ce que moi, j'avais choisi de faire. Les bras toujours couverts de bleus, le ventre de la même couleur, ma plaie rouverte, une jambe brisée, quelques côtes cassées, un bras mort au combat et le visage couvert d'ecchymose, j'avance pourtant dans les rues d'Aster Cove. Pour tous, je suis tombée des marches, j'ai déchiré mon corps à la rencontre de l'escalier, rambarde manquante et cri de stupeur, mêlé de trop de douleur. La vérité prend des accents horrifiques et partout autour de moi, je sais que les gens murmurent, susurrent la terreur que cela leur inspire.
Je tente en vain de l'oublier, ce son qui résonne au fond de moi et me hurle que plus rien ne sera comme avant. J'ai peur, en vérité. Ma vie s'est arrachée, et désormais, plus rien ne compte vraiment. Alors je fais sans. Je respire trop d'oxygène dans l'espoir de m'envoler et parfois, j'hésite à le remplacer par de l'hélium.
Un soupir quitte mes lèvres tandis que je tourne à l'angle d'une rue, dans un quartier que je sais mal fréquenté. Ces derniers temps, c'est compliqué, en moi. Je n'ai plus envie de continuer et mon cœur se fissure à chaque virage. Je cherche un danger qui ne vient pas vraiment, je crois que les gens me prennent pour un fantôme, défiguré, et qu'ils ont encore plus peur de moi que moi d'eux. Les poings de mon père sont visiblement pires que tout ce que j'ai pu croiser jusqu'à lors.
Ils sont un danger qui éloigne tous les autres. Ils sont une punition en soi dont le sang qui goutte sur le sol marque à jamais le moindre de mes pas.
Je voudrais m'effacer. Je voudrais disparaître, faire comme ma m-...
Les mots me dépassent, s'arrachent et me déchirent. Je me perds dans un ailleurs où tout est blanc, où plus rien ne fait mal, où plus rien ne compte, mais je secoue la tête lorsque je reconnais le visage qui s'affiche dans mon champ de vision.
Stan Alessandro.
Au début, mon cœur se serre, rate un battement et meurt un peu. Je cherche un air que je n'ai plus, cherche une rue où m'enfuir, en vain. C'est là que je remarque le baluchon qu'il porte. C'est là que tout me revient. À ma sortie d'hôpital, hier, j'ai appris que la mère de Stan était en colère. J'ai entendu les murmures de sa rage jusque chez moi, alors que mes voisins racontaient qu'elle comptait expulser son fils de chez elle. La réalité me frappe et l'analyse est aisée.
Stan est à la rue. La maison qui se dresse derrière lui n'a plus rien d'un foyer et la porte qui se claque sous mes yeux est la confirmation de toutes ces rumeurs. Mon regard change, ma gorge se serre tandis que je m'imagine à sa place.
Stan a toujours été un connard, avec moi. J'ai trop de fois rencontré ses poings pour ne pas en connaître les contours, j'ai trop de fois senti sa haine arracher ma chair au détour d'un regard, j'ai trop de fois écouté ses remarques pour ne pas les voir peser sur mes épaules. Stan ne mérite pas mon attention. Il mérite encore moins cette compassion que je sens poindre dans mon ventre. Je voudrais me gifler, ou peut-être le gifler lui, le connard insensible qui m'a fait tant de mal. Au lieu de ça, j'ouvre la bouche. Mais ce ne sont pas des insultes qui en sortent.
« Ça... va aller ? »
Je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça. Peut être ne le saurais-je jamais.