« Je sais qu'elle s'appelait Serge avant de s'appeler Bianca » | Christopher Harrison

- Bon matin, groupe!
- …
- Ouf… On reprend! Bon matin, groupe!
- Bon matin, monsieur Harrison…
- J’aime mieux cela… Alors, comme vous le savez…
- Monsieur! Nous ne sommes pas à New York, ici! Vous ne pouvez pas nous donner un examen comme ça, sans nous avoir laissé le temps d’étudier!
- C’est quoi le rapport avec New York?
- Hey! C’est pas parce que toi, tu n’as pas étudié que ça veut dire que les autres ne sont pas prêts…
- Ferme là!
- OK, on se calme! Je vous ai dit que cet examen ne comptait que pour…
- Je vais aller voir la direction! C’est abusé! Nous avons eu un examen la semaine passée!
- C’est vrai!
- Ça suffit! L’examen a été séparé en deux parties pour vous faciliter la tâche, je…
- Faciliter la tâche mon cul!
- Pas de langage grossier dans ma classe!
- Votre classe? C’était celle de madame Esther avant que vous ne débarquiez de la grande ville!
- Justement! Si madame Esther n’était pas partie, on ne m’aurait jamais transféré ici pour la remplacer! Pensez-vous vraiment que j’ai choisi de venir m’installer dans cette ville pourrie pour enseigner à une bande d’abrutis de la campagne!?
- …
- Je… je suis désolé, ce n’est pas ce que je voulais dire…
- …
- Je… Si je laisse tomber l’examen, ce qui vient de se passer restera entre nous?
- …
- Allez… Je laisse tomber l’examen d’aujourd’hui, je vous donne tous la note de passage à celui de la semaine dernière et je vous donne congé aujourd’hui… Ça vous va?
- Oui!

Les pattes des chaises de bois crissèrent sur le parquet alors que tous les élèves se reculaient pour se lever sans un mot de plus. Ils attrapèrent leur sac et leurs manuels et se dirigèrent vers la porte de la classe avec empressement, comme s’ils craignaient d’être ramenés à l'ordre alors que tous savaient très bien que leur nouvel enseignant n’avait aucune autorité sur eux. Ce dernier se laissa tomber sur la chaise de son bureau et attrapa sa tête entre ses mains en soupirant lorsque le dernier élève eu quitté. S’il avait été seul au monde, il se serait certainement mis à sangloter, mais l’époque où il pleurait à l’école était terminée. Il n’était plus l’élève intimidé, mais l’enseignant! Il devait se ressaisir où ces gamins auraient toujours le dessus sur lui. Pendant quelques secondes, il douta de son choix de carrière… Après tout, n’était-il pas étrange d’avoir choisi de travailler dans une école alors que c’est exactement dans ce genre d’établissement que nous avons vécu les pires années de notre vie? Était-il donc masochiste à ce point ou était-ce l’opportunité de se venger de ses détracteurs passés. Qui sait, peut-être que l’enfant de l’un de ses intimidateurs se trouverait, un jour ou l’autre, dans sa classe…

Chris passa ses mains dans son visage, étirant celui-ci vers le bas en soupirant à nouveau. Demain serait un jour meilleur…


Les lumières flashaient au rythme d’une chanson de Tina Turner sur laquelle Bonbon bougeait ses fesses en tenant dans sa main un micro pour donner l’illusion qu’elle chantait réellement alors que bien souvent, ses lèvres ne s’ouvraient pas au même moment que les paroles de la chanson. Le public ne semblait pourtant pas s’en soucier alors que plusieurs dansaient avec timidité sur leur chaise. Le numéro tirant à sa fin, elle fut applaudie chaleureusement, mais déjà, certains criaient le nom de la prochaine drag queen à monter sur scène.

- Délice! Délice! Délice!
- Vous avez hâte de voir Délice, n’est-ce pas? lança alors Bonbon dans son micro, de sa voix qui se voulait une belle caricature de la voix féminine. Les cris de la foule se firent de plus en plus insistants alors que Bonbon se tournait en direction du rideau derrière lequel devait attendre Délice. Alors ma poule? Tu t’es étouffée avec ton corset pour les faire attendre ainsi? Certains éclats de rire se firent entendre alors que Bonbon jetait un regard moqueur vers le public. Ta perruque n’entre plus sur ta tête? Bonbon s’esclaffa alors qu’une jambe nue apparue au travers le rideau de scène. Aussitôt, le public devint hystérique et la jambe disparut.

Les premières notes disco de Hell on Wheels, le célèbre succès de Cher sur lequel entrait toujours Délice, se firent entendre, enterrant les acclamations du public. Glissant ses pieds rapidement dans une paire de patins à roulettes, Délice ne fit pas attendre son public une seconde de plus et s’avança avec aise sur la scène, exhibant sa silhouette rectiligne dans un magnifique onepiece identique en tout point à celui que portait Cher elle-même dans le vidéoclip du même titre. Bonbon se mit à l’écart, en croisant les bras sur sa fausse poitrine. Comme à son habitude, elle jouait la drag queen jalouse du succès de Délice qui bougeait son corps explicitement en jouant avec le public. Les lèvres de Délice suivaient à la perfection les paroles de la chanson, trahissant le professionnalisme avec lequel elle abordait son numéro.

Le solo de guitare débuta et Délice s’approcha du bord de la scène en faisant comme si c’était elle qui en jouait et le public cria de plus belle. Elle était la vedette et se nourrissait de tout cet amour pervers que lui portaient ces inconnus. Derrière son maquillage affreusement exagéré, ses feux-cils démesurés et ses habits flamboyants, Christopher oubliait la médiocrité avec laquelle il avait fait face à sa classe, plus tôt dans la journée. Sous les traits de Délice, il devenait un être puissant et capable de tout! Son seul souci n’était plus que de perdre pied et de tomber sur scène…