ARLEEN + ghosts, you said ?

Arleen se dit qu’on a déjà vu des histoires de ce genre - des histoires de fantômes. Des dizaines et des dizaines, sur papier, sur grand et petit écran. Il n’y a rien d’original dans ce qu’il son en train de faire - une sorte de documentaire. Ils ont déjà tourné dix épisodes au moins, sans grand succès, et la question reste la même à chaque fois : la maison est-elle hantée ? Alors Arleen enfile son costume et répond que oui, oui bien sûr, la maison est hantée.  Elle peut les sentir, là, à travers les murs et, ici, un endroit froid, presque glacé, alors que la maison est tiède, chaleureuse, accueillante. Elle voit les yeux s’agrandir ou les sourcils se froncer : les propriétaires y croient, en général. Seule l’équipe de tournage sait que ce ne sont que des conneries - l’équipe et elle, bien évidemment. Il passent quelques jours dans une maison, après qu’on les ai appelés. Ils reçoivent plusieurs demandes par mois - comme quoi certains se procurent les VHS de leurs aventures elle ne sait comment. Ils sont diffusés, également, depuis quelques temps, sur une chaîne nationale mais tard, très tard le soir, quand les enfants dorment et que les adultes sont sur le point de céder, eux aussi. On l’a même reconnue, une fois. Ce n’était pas désagréable, en soit ; juste étrange. Vraiment très étrange.

Elle ne s’attendait pas à ça, en organisant sa première séance - première année d’études d’histoire et d’anthropologie, deuxième semestre. Évidemment qu’il lui fallait de l’argent, pourquoi aurait-elle mis en place une telle affaire - arnaque - sinon ? L’université coûtait chère et il n’y avait personne pour assurer ses frais - parents décédés, tante célibataire accumulant deux boulots et qui avait déjà eu la largesse de l’élevé. Un grand classique et un cliché, vous dirait Arleen. Alors elle avait eu cette idée : persuadée que personne ne répondrait à son annonce, mais espérant secrètement que quelqu’un le fasse, elle avait posté une annonce dans plusieurs journaux de Los Angeles, proposant une séance pour un prix correct, pour individus seuls ou accompagnés. Vous pouviez contacter un proche décédé ou, avec quelques billets de plus, une célébrité de votre choix. Neufs personnes répondirent à la première annonce, appelant à toute heure du jour ou de la nuit et Arleen commença, à ce moment précis, à mettre quelques dollars de côté. Par la suite, elle put quitter son dortoir pour s’offrir une chambre dans une colocation, non loin d’un de ses quartier préférés. Elle acheté une voiture - vieille et d’occasion, mais une voiture tout de même - et réussit à quitter l’emploi de serveuse qui lui dévorait tout son temps.

Et puis, elle a continué. Elle a continué jusqu’à la fin de ses cinq années d’étude, et a continué pendant qu’elle cherchait un travail, et a continué quand elle s’est rendue compte qu’elle pouvait en vivre. Pas très largement, certainement, mais en vivre tout de même. On a froncé des sourcils, quand elle a annoncé la nouvelle, alors elle a inventé un autre métier plus officielle, pour ne pas qu’on vienne l’ennuyer - quelque chose ayant à voir avec l’histoire, l’anthropologie et les bibliothèques, il lui suffisait de rester vague.

C’est une peu facile, n’est-ce pas, de prétendre que tout cela n’est une arnaque. Qu’il n’y a pas eu quelques fois, dans le noir, un mouvement imperceptible. Qu’elle n’a pas entendu un bruit que les autres ont ignoré ; qu’on a pas murmuré son nom, tout bas, si bas qu’elle crut l’avoir imaginé. C’est facile de prétendre qu’elle n’a pas rêvé, parfois, de choses qui sont ensuite arrivées - mais elle ne savait pas le prédire, pas vraiment, pas avant d’avoir compris le songe, pas avant de l’avoir interprété et d’être arrivée trop tard. C’est facile, oui, de dire que son corps ne réagit pas, quand une intuition la prend, quand elle aperçoit, du coin de l’oeil, une silhouette qui l’observe. C’est plus aisé d’ignorer ce qu’il s’est passé, d’oublier le cadavre sur lequel ils sont tombés quand, pour une fois, elle n’a pas fait semblant.

Arleen n’est pas faite pour assumer - ou du moins, elle ne sait pas faire, et a préféré s’enfuir. Elle dirait qu’elle est simplement partie parce qu’elle ne supportait plus Los Angeles et que les loyers étaient trop chers. Expliquer comment elle vient d’arriver à Aster Cove serait plus compliqué. Il faudrait alors dire qu’elle a abandonné son appartement en trouvant, à la dernière minute, un nouveau locataire ; qu’elle a mis, dans une unique valise, la majorité de ses possession ; qu’elle a roulé, sans vraiment faire attention et que sa voiture est tombée en panne à l’entrée d’Aster Cove - à quelques mètres du panneau annonçant la ville, plus précisément. Il faudrait expliquer qu’elle a décidé de rester, car elle n’a nulle part où aller et rien d’autre de mieux à faire, à ce qu’il paraît.