Il y a plusieurs années au vietnam- J’en ai plein le cul de me battre contre des putains de fantômes.
- La ferme, Red
- Non mais sérieusement les gars…
Une cigarette a moitié consumée au coin des lèvres, les yeux de Clinton se perdaient sur le paquet de Marlboro dans sa main gauche. Le cul inconfortablement vissé sur l’aile métallique du véhicule blindé transportant les soldats américains au cœur d’une ville à moitié en ruine et sombrant dans les flammes depuis plusieurs heures. Clinton laissait un rire gras s’échapper d’entre ses lèvres lorsqu’il entendit le sujet de conversation de ses camarades à travers le crissement des chaînes et le chaos du moteur. Ils étaient éreintés par les derniers mouvements de troupes orchestrés anarchiquement pour les différentes sections. La main serrée sur la poignée de son arme automatique, la crosse plantée avec lourdeur dans sa cuisse, il rangeait le paquet de cigarette au niveau de l’élastique présent sur son casque.
- Red, si tu fermes pas ta gueule c’est Clint qui va s’en occuper.
- C’est pas un nordiste en carton qui va me faire peur
- Quand il aura explosé ta gueule de sudiste, tu vas comprendre.
Il laissait la fumée de sa cigarette s’envolée au dessus de sa tête, le regard froid vissé sur le jeune homme à l’accent fort prononcé de l’Alabama. Sa cigarette roulant d’un coin à l’autre de ses lèvres. Son majeur ainsi que son pouce se refermait sur la fin de sa cigarette qu’il lui lançait au visage dans un simple claquement de doigts déclenchant l’hilarité générale de ses camarades. Tel était son quotidien depuis l’année mille neuf cent soixante cinq et son déploiement au Vietnam. Lui, le fils d’un humble couple de Augusta dans le Maine. Une enfance détruite par le décès de son père au cours de l’opération overlord sur les plages normandes le six juin mille neuf cent quarante quatre.
A l’époque, il n’avait que sept ans lorsqu’il a vu son père s’engager dans l’armée américaine afin de combattre la terreur que faisait régner le troisième reich sur l’Europe. Il avait accompagner sa mère à la gare, elle pleurant le départ de son mari pour un continent en proie à la violence et à la mort. Lui, petit garçon qui se retrouvait avec les responsabilités de l’homme de la famille pendant l’absence de son père. Un gamin confronté bien trop rapidement à la brutalité de la vie. Il avait mis les pieds sur la plateforme, il l’avait vu pour la dernière fois saluer son épouse et son enfant depuis la fenêtre avant de disparaître au loin vers New York. Quelques mois plus tard, il rentrait à la maison sous la simple forme d’un drapeau américain soigneusement plier dans les bras d’un officier de l’armée de terre. Sa mère, elle, s’était écroulée en voyant la jeep s’arrêter face à la maison. Lui, son enfance, innocence et insouciance avait disparu a jamais avec les sanglots de sa mère.
- Foutez lui la paix, les mecs.
- Allez, Sergent, on s’amuse entre couilles
- C’est les tiennes qui vont disparaître si tu l’ouvre encore, soldat.
A nouveau, l’hilarité générale se déclenchée dans les rangs des soldats américains. Le véhicule blindé ralentissait à l’approche d’un obstacle sur sa route quelques secondes avant que Clint ne saute de la carlingue pour mettre pied au sol. L’arme sur l’épaule avançant lentement aux cotés du véhicule militaire, ses énormes rangers soulevant la poussière des bâtiments en ruine et la terre battue qui servait de route avant que les bombardiers ne pilonnent la ville. Il fouillait à l’intérieur d’une des poches de son gilet pour venir lancer un cure dent au coin de ses lèvres, ses yeux observant avec attention ses alentours s’arrêtant au même niveau que le chauffeur.
- J’approcherais pas plus si j’étais toi, j’ai pas envie de traîner ton tronc jusqu’à l’hélico. Bougonnait Clinton entre ses lèvres à l’intention de Red.
- Quoi ? Qu’es-ce que tu racontes ?
- C’est un putain de piège... Tu vas t’retrouver avec les jambes en moins
- Tu crois ce que tu racontes l’yankee ?
- Non, non, les débris se sont parfaitement installés les uns sur les autres pour construire un putain de barrage… Bien sur, crétin de sudiste.
Clinton frappait la poignée de son arme à l’arrière du casque de Red avançant à la suite des hommes qui avaient eux aussi mis pied a terre. Ils prenaient la direction des petites ruelles adjacentes. Si Clinton avait toujours eu cet air d’ours mal léché a partir de son adolescence, empêcher Red de poser le pied sur une mine était une chose exceptionnelle qu’il n’aurait jamais fait il y a plusieurs années. Le décès de son père avait complètement chamboulé le jeune militaire.
- T’es pas venu par choix, ça se sent dans ta voix, Clint.
- Tu veux pas savoir mon histoire, Wayne.
- Allez, quoi ! T’es le seul qui l’ouvre jamais a part pour insulter le sudiste !
- Ferme la, Wayne… Avance et ouvre l’œil, j’ai pas envie de mourir.
Effectivement, Clinton n’avait pas eu le choix que de s’engager dans l’armée et l’entrée sur le terrain des forces américaines au vietnam n’avait pas aidé l’homme à s’adoucir. Véritable fauteur de trouble depuis son adolescence, le nordiste a vécu une crise d’adolescence relativement compliquée en l’absence de son père. Incapable de se soumettre à l’autorité, Clinton était devenu la petite terreur de ses établissements scolaires. Toujours dans les mauvais plans et à l’origine des mauvaises idées, il ne s’était malheureusement pas arrêter à faire vivre un enfer quotidien à ses camarades de classes ou enseignant. A l’extérieur, il vandalisait des propriétés et commettait de petits larcins pour lesquels sa réputation n’avait de cesse que de s’empirer. Un voleur, un arnaqueur, un bagarreur. Tel était devenue la vie du petit Clinton qui n’avait eu de cesse de faire la connaissance des locaux de la police d’Augusta. Une routine qui s’était aggraver avec l’âge avançant et proche de la majorité, les problèmes qu’il s’attirait n’avaient de cesse de lui faire effleurer les portes de la prison.
C’était elle, sa mère, la femme qui l’avait toujours aimer et protéger malgré ses erreurs. Elle qui lui avait poser l’ultimatum après sa dernière connerie. Une chose très grave qui l’avait définitivement fait franchir la ligne de la loi. Il s’engageait dans l’armée afin d’apprendre véritablement à se soumettre à l’autorité ou elle apportait toutes les preuves aux policiers qui le ferait croupir derrière des barreaux pendant une longue période.
4 Juillet 1984- Papaaaaaaa… C’est quoi ça ?
- De quoi, ma puce ?
- Là, sous tes cheveux
Perchée sur les épaules de son père la petite tête blonde passait ses doigts sur le côté du crâne de son géniteur. Son regard intrigué se mariait parfaitement à l’expression incrédule de son visage tandis que ses doigts d’enfant jouaient avec les mèches de cheveux afin d’observer au mieux, avec la curiosité d’un enfant, la cicatrice dans le cuir chevelu de son père. Sans dire un seul mot, le vétéran croisait le regard de sa femme qui souriait rivant ses yeux vers le ciel. Elle lui laissait le choix de l’explication tandis qu’ils avançaient parmi la foule réunie pour les festivités du quatre juillet. Désespérément, il cherchait de l’aide dans le regard de sa femme qui prétextait se rendre au stand de boissons afin de rapporter des sodas.
- Hmm… Tu sais, papa, il était à l’armée quand il était plus jeune
- C’est pour ça que t’aimes bien le quatre juillet ?
- Oui, ma puce, c’est pour ça que j’aime bien le jour de l’indépendance
- T’as fait la guerre, papa ?
- Oui, ma puce, papa a fait la guerre. Tu sais que Papy aussi a fait la guerre ?
- Oui ! Papy il a battu les méchants, c’est mamie qui me l’a dit !
Clinton n’avait jamais eu pour habitude de mentir à sa famille depuis son retour du vietnam. S’il se refusait cependant toujours à prendre le rôle de chef de famille ainsi que les responsabilités qui en incombent au plus grand désarroi de sa défunte mère. Le vétéran n’avait aucunement l’envie de cacher la vérité à sa fille qui finirait par apprendre la vérité en grandissant. Sans véritablement être le père de l’année, il essayait tout de même d’éduquer sa petite de la manière la plus juste possible. Les choses étaient différentes aux Etats-Unis depuis sa démobilisation du vietnam. Il en avait parfaitement conscience après avoir vu son pays se déchirer dans une guerre d’idéaux en rapport avec l’intervention militaire dans ce pays.
Si onze longues années s’étaient déjà écoulées depuis sa démobilisation et le retrait des troupes, l’opinion publique restait cependant complètement divisé sur le cas des vétérans. A son retour, Clinton n’avait eu que des regards noirs dans les rues de son quartier d’Augusta. Son passé d’ancien mauvais garçon était toujours présent dans les esprits et son retour de l’armée n’avait aucunement aidé à lui créer une meilleure image. Quelques mois plus tard, il s’installait à Aster Cove rejoignant sa mère malade qui désirait passer ses dernières années de vie dans sa ville natale. A ses yeux, Clinton était un merveilleux fils qui avait réussi à se repentir. Elle, sa mère, elle était restée la seule personne l’ayant toujours soutenu et protéger.
- Vous vous amusez bien ?
- Maaaaaaammmm ! C’est vrai que Papa il a fait la guerre comme mes papys ?
- C’est vrai, ma chérie
Désespérément, Clinton lançait un appel au secours à sa femme qui lui souriait joueuse plongeant son regard dans le sien. Elle voulait absolument qu’il assume son rôle de père et n’hésitait pas une seule seconde à laisser son mari dans une situation inconfortable. Sa femme, il la connaissait par cœur et bien que son caractère d’ours mal léché offrait parfois de terribles situations familiales. Clinton en était fou amoureux depuis déjà dix ans, dès le premier regard qu’il avait poser sur cette magnifique, magnifique, magnifique femme. Le vétéran avait essayé de remuer ciel et terre afin de s’accorder un peu d’attention de la part de la jeune femme, le reste est aujourd’hui inscrit dans l’histoire et sur ses épaules. Le regard perdu, il s’envoyait une gorgée de bière dans le gosier avançant parmi les animations que proposait la ville pour le jour de l’indépendance. Le ciel ne tarderait pas à devenir sombre et les premières fusées exploseraient dans le ciel
- Maman, pourquoi Papa il fait plus la guerre ?
- Parce que la guerre est terminée, ma chérie.
- C’est pour ça qu’il répare les voitures des gens maintenant ?
- Oui, parce que papa il aime les voitures plus que les armes aujourd’hui