J'ai regardé le silence, et pendant un instant il m'a semblé un peu plus clément, alors j'ai pensé à l'adopter. Parce que la musique sonnait trop fort à l'intérieur, et surtout la voix de Scott qui avait fait une scène devant tout le monde. Ça a été le moment de ma vie où j'me suis sentie la plus mal à l'aise, prise en sandwich entre le désir de disparaître et de préserver notre image de couple vedette. Et hop ! Un verre de trop (qui a dit verre ? il boit direct dans la
bouteille) ; le désir de tragédie est irrésistible. Ça doit être un grec ancien, au fond de son whiskey. Il s'est mis à gueuler devant tous, fier de sa colère/tristesse, fier de son amour/haine, fier d'être un paon. J'ai chuchoté
chut, Scott, pas devant tout le monde. J'ai essuyé des larmes perlées, d'un geste rageur mais subtil (j'espère). Mais il savait que j'pouvais pas m'enfuir, que je me suis enfermée moi-même dans une cabane au fond des bois et qu'il pouvait hurler à la lune et tout son auditoire que j'étais rien qu'une trompeuse, une menteuse, que son p'tit cœur était abîmé par ma faute.
Au fond de ma bouteille de whiskey à moi, je sais que c'est vrai.
Je sais que je fais du mal. Je souris, je suis idiote et derrière, je peux pas m'empêcher de propager la ruine. Et à force de bloquer, à force de colmater un bateau qui coule, je réalise pas que je remplis le fond de la coque d'eau de mer.
J'ai l'ivresse maussade, je pense.Ou alors ce sont que ses paroles, à lui. C'est ça qui est drôle ; on peut pas savoir. Je sais que j'suis pas une trompeuse, mais une menteuse peut-être. Je sais pas si je l'aime encore, par contre ; et c'est ça qu'il sent au fond de lui et qui le met en rage. Peut-être.
Peut-être.Je me cache la tête entre les genoux, parce qu'elle va exploser, je crois. Je comprends plus rien. C'est débile. Quand je relève mon attention vers la forêt en avant, et sur le mur froid contre mon dos posé dessus, j'en suis à un rire désabusé.
«
Tu viens admirer le spectacle ? » je lance sans être vraiment convaincue par mon propre acting d'acidité.
Par réflexe, je me recroqueville pour me protéger. Puis je vois qui c'est ; pas Scott, mais
Ange. Celui - celle - qu'on a pas invités. Une autre qui me hait la tête. Je lui lève ma bouteille, désarticulant mots et intentions dans une pathétique parodie de moi-même assise sur sa fierté (et par-terre).
«
J'ai pas envie de me battre, soldate. »
Sourire complaisant vers le liquide doré.
«
J'me suis fait une nouvelle amie, t'as vu. »
Je réalise que j'ai les yeux pleins de larmes pas encore séchées que j'essaie de cacher pour rien.
«
Chante avec moi, allez. ♪ ♩ ♫ ♬ La vie c'est de la meeeee-ee-eeerde. ♪ ♩ ♫ ♬ »
Un fou rire me kidnappe, puis je retourne à un sourire mi-fier, mi-gaga.
«
J'ai dit merde. »
AVENGEDINCHAINS