Trick or treat - Ange&Primo

Primo avait glisser son pouce et son index sous la monture de ses lunettes, frottant l’arrête de son nez et délaissant un bref instant le livre ouvert devant lui. Contrairement à bien des élèves de l’établissement, les préparatifs du 31 octobre ne l’enthousiasmaient en rien. Alors que cette fête depuis toujours était attendue par tous les gamins du quartier, lui, ne l’avait jamais foncièrement porté dans son cœur. Il ne l’expliquait pas, allez savoir, il avait toujours été un peu couard et sûrement intimidé par l’ambiance étrange d’une journée si particulière ou rien ne semble impossible. D’un mouvement las, le jeune professeur laissa glisser sa main sur son visage et, sur un post-it posé en évidence sur le bureau, souligna de plusieurs traits rouges l’ordre d’acheter des friandises. Grand superstitieux dans l’âme, il faudrait répondre aux attentes des enfants qui se présenteraient à sa porte mercredi soir sous peine d’être maudit pour les années à venir s’il n'obtenaient pas quelques grammes de sucres.

Maudit. Primo pensait l’être un peu parfois. Enfin, moins maudit que malchanceux peut-être. Si ça en amusait certains, il aurait volontiers lancé un débat sur le sujet, mais pour cela, il aurait fallu qu’il assume certaines de ses actions et qu’il parle à cœur ouvert de quelques sentiments difficiles à revendiquer et ça il en était encore aujourd’hui incapable.

Bientôt cela ferait trois ans qu’elle avait disparu et il n’y avait pas un jour ou il n’avait pas pensé à elle. Lorsqu’elle sortait distraitement de son esprit, la culpabilité le rongeait, comme s’il était de son devoir de ne jamais oublier son sourire et encore moins son souvenir. À croire qu’il aimait se faire du mal, sa mémoire soulevait toujours un profond sentiment de honte contre lequel il ne pouvait lutter. Annie Miller reviendrait elle un jour à Aster Cove ? Expliquerait-on la raison de son départ ? Etait-il inculpé de près ou de loin ? Avait-elle délibérément mis en scène sa disparition après leur unique rendez vous ? Bientôt trois ans qu’il menait une enquête lointaine, à la recherche de réponses tout en craignant de les obtenir. Comme un écho à ses tourments, la porte de la salle s'ouvrit.

Ange Delacourt. Des jambes interminables et un visage de porcelaine. Sur sa chaise, Primo s’était légèrement raidi bien qu’il chercha maladroitement, comme toujours, à cacher l’embarras qui le gagnait quand il faisait face à son bourreau. « Je t’en prie, installe-toi. » S’entendit-il bredouiller d’une voix lointaine en français alors qu’il rassemblait ses affaires, raclant sa gorge alors que ses doigts nerveux se saisissait d’un cahier blanc qu’il posa devant lui.

Des cours particuliers. C’est ce qu’elle lui avait demandé en échange de son silence. Le deal lui avait paru correct, il l’avait laissé mener la danse. Primo aurait été incapable après tout de s’y opposer et bien que ce petit manège dure depuis longtemps maintenant, il n’avait jamais eu le cœur à y mettre un terme ou même à renégocier les termes de ce drôle de contrat. Il n’était pas de ceux qui savaient marchander, Ange l’avait compris mais elle avait eut le respect de ne pas en abuser et bien qu’elle fasse peser une épée de Damoclès au-dessus de son crâne, son élève n’avait jamais profité outre mesure de son avantageuse position.

Là encore, il était question de satisfaire son interlocutrice qui, bien pire qu'une malédiction, pourrait le briser s'il refusait de donner suite à ses faveurs.