Life's what you make it ► feat. Alice Snicket

Splotch

Voilà, ça avait déjà commencé. J'avais plissé fort mes yeux pour ne pas m'en recevoir dedans. Sans même me poser la question, je savais déjà qui m'avait balancé de la boue au visage. J'aurais reconnu leurs voix entre mille.

« On se croit toujours supérieure aux autres, McNamara ? railla une d'entre elles.

Je tirai sur la manche de mon manteau avant d'essayer de déloger la saleté sur le côté gauche de mon visage. Il y en avait qui avait coulé dans mon cou. Putain. Les rires des fautifs qui s'époumonaient sur les bancs du terrain de crosse faisaient battre mon cœur et mes tempes au rythme d'une colère explosive. Il fallait que je me calme. Si je leur montrais que ça me faisait rien, ils finiront par se lasser au bout d'un moment. Plus tard ça ne sera que des coups d'épaule dans les couloirs. Je soupirai pour moi-même. Plus qu'un an. Plus qu'un an.
Ils sortirent du banc pour passer devant moi. Un des mecs du groupe plaça son visage tout près, comme pour m'intimider, mais je me contentais de le tuer du regard sans bouger. Plus ils faisaient ça, moins j'avais peur...

- C'est que le début, Cendrillon, pesta-t-il avant de cracher devant mes pieds.

Puis ils partirent. En direction du raccourci que je prenais pour rentrer chez moi, bien entendu. "C'est que le début"... Je voulais bien le croire, cet enfoiré. Je le connaissais que trop bien. L'envie de leur faire un bras d'honneur au loin était vraiment trop forte, je ne sais pas comment j'ai fait pour me contenir. J'avais beau essuyer la boue, j'avais encore des traces de saleté sur le visage que seule une douche pouvait effacer. Il allait falloir que je prenne le chemin bondé de monde en plus de ça, avec cette dégaine, parce que je savais qu'ils allaient me prendre à part si je prenais mon chemin.

- Putain de connards » marmonnai-je avant de remettre la anse de mon sac sur mon épaule.

Je commençai lentement à quitter le terrain en rebroussant chemin, à contre-cœur. Même si je m'étais préparée, même si je me répétais qu'il fallait que je sois forte et que c'était la meilleure décision que j'avais prise dans ma vie... j'avais envie de pleurer. Je me sentais seule. Vous imaginez... Vicky McNamara, pleurant à côté de vous quand vous rentrez à la maison, le visage couvert de boue et entourée de strictement personne pour une fois. La belle affaire, j'allais pas leur faire ce plaisir. Au moins je pouvais éviter les larmes dans le tableau.

« Tiens.

Hein ? Tiens, quoi ? Je m'étais retournée vers la voix avec toute la méfiance que je pouvais exprimer du regard, mais elle finit par s'évaporer au fur et à mesure que j'appréhendais la personne à côté de moi. Je ne la connaissais pas. Blonde, mignonne, propre sur elle, elle avait l'air de la parfaite petite princesse. Pas du genre à faire des coups tordus, au moins. N'ayant pas le cœur à lui offrir un sourire, je me contentai de hocher la tête avant de prendre la lingette qu'elle me tendait gentiment.

- Merci, répondis-je dans un petit soupir de soulagement.

Je ne me fis pas prier pour enlever ce qui venait de me souiller le visage. Lorsque je regardais le blanc du linge mouillé se tinter de boue, je constatai qu'il y avait aussi mes résidus de maquillage. Je poussai un petit grognement. C'était vraiment naze, comme journée. Dieu merci, c'était la fin. Il fallait que je nettoie l'autre côté de ma tronche si je ne voulais pas ressembler à ce Double Face que mon frère lisait dans ses comics.
Soudain, l'illumination. Je venais de me souvenir que j'avais un miroir de poche dans mon sac. Je fis rouler mon sac sur le côté pour mieux y fourrer ma main. Pour une fois j'étais tombée dessus sans trop fouiller. J'ouvris le miroir et commençai mon ravalement de façade. Autant sauver les dégâts correctement.

- Je ne t'ai jamais vue avant, je me trompe ? continuai-je en procédant soigneusement à arranger ma tête. Tu aides souvent les gens, juste comme ça ?

Je ne souhaitais pas être méchante. En réalité, je ne l'étais pas du tout. La gentillesse gratuite était seulement quelque chose qui me surprenait beaucoup. Mais je me rendis compte que mon commentaire pouvait être mal reçu.

- Merci beaucoup, ajoutais-je. J'irai te voir quand ils viendront me casser les bras, j'espère que tu auras des attelles et des plâtres dans ton sac. » finis-je sur un ton plus humoristique, un petit sourire en coin.

Oui, ça me faisait un peu rire sur le moment, mais au fond, c'était possible si je ne faisais pas assez attention. Et ça me faisait froid dans le dos.

Les paroles de ma sauveuse me firent émettre un petit rire, assurément. Elle avait l'air de ne pas trop se prendre la tête, c'était plutôt agréable. Attendez, Hulk, c'est le gars tout vert qui traîne avec les super-héros, c'est ça ? Qui aurait cru que les tentatives d'Oliver à m'éduquer sur les comics et films me servirait à comprendre des trucs dans une conversation... Enfin, c'est pas avec ceux qui venaient de m'attaquer à coup de boue dans la face que j'allais faire des références de la sorte.
Bon, la restauration de visage était arrivée à son point culminant. Il n'y avait rien d'autre à faire... Je fourrai mon miroir dans mon sac avant de tendre la main vers la bonne samaritaine. Pas celle qui tenait la lingette que j'allais bientôt jeter, naturellement.

« Moi c'est Vicky. Enchantée de te connaître même si les conditions sont pas super...

C'était super conventionnel de serrer la main, comme ça, mais c'était tout ce que j'avais trouvé de mieux à faire. Comme on m'avait tant dit, quand tu le fais avec assurance, en général, ça passe.

- Et ouais, avant je traînais avec eux... Les filles sont pas mieux, d'ailleurs je les soupçonne d'avoir eu l'idée.

Quoique lancer de la boue était pas très difficile à penser pour un mec...
Enfin bref. Il fallait que je jette ce truc, moi, et je n'avais pas envie de rester sur le terrain indéfiniment. Il y avait une vieille poubelle vers là où je me dirigeais avant que ma nouvelle camarade me sauve la mise. Je fis un signe de tête dans cette direction avant de continuer:

- Tu rentres chez toi aussi ou t'as encore des trucs à faire ? »

Avoir un compagnon de voyage ne me déplaisait pas, à vrai dire. Balancer ce truc mouillé plein de boue non plus. Mais bon, on n'a pas toujours ce qu'on veut dans la vie.

« La vache, tu as tué toute leur famille pour qu'ils t'apprécient autant aujourd'hui ?

Je ris encore une fois en soufflant par le nez. On aurait dit que j'avais fait ça, effectivement. Je me demandais si les choses seraient si différentes si j'avais commis un crime qui les affectait, au final. Vicky, la criminelle sociale. J'acceptais le titre.

- Je rentre aussi, j'étais juste passée repérer le gymnase et le stade pour l'audition des Cheerleaders de la semaine prochaine !

J'acquiesçai et ne tardai pas à me diriger vers la poubelle et reprendre le chemin. C'était mieux de parler en marchant qu'en restant plantées au milieu du terrain comme des poteaux. Goodbye, lingette. Emporte la boue de la honte avec toi, merci bien, bon courage. Mais c'était pas vraiment à l'incident que je venais de vivre que je pensais, curieusement. Cheerleader. Mh. Encore un truc que je ferais plus après être descendue de mon échelle de popularité. Soudainement, même si je connaissais absolument pas Alice, je me sentais un peu inquiète.

- Oh, bon courage. Tu vas devoir convaincre Mackenzie. En parlant de gens de qui j'ai tué la famille.

Je fis un petit sourire en coin, presque désolé, et commençai à entamer le chemin avec la New Yorkaise, une main dans la poche, l'autre sur la lanière de mon sac.

- Si t'as besoin que je te briefe sur qui est qui ici, t'as trouvé la bonne personne. Je levais mon pouce au-dessus de l'épaule. Les gens qu'on vient de croiser, tu vas sûrement devoir les côtoyer et je m'en excuse d'avance à leur place. Crois-le ou non, je me retournai vers elle avec un nouveau sourire, plus ironique, c'étaient mes amis.

Je laissai un petit silence s'installer. J'avais pas envie de déballer ma vie en entier, surtout si la serviable Alice de New York en avait peut-être rien à faire. Mais tant qu'elle était enclin à me parler, tant qu'elle ne savait sûrement rien du tout de cette ville... Autant diriger la conversation sur le point de pivot de ma désormais vie sociale.

- Alice... qu'est-ce que tu sais d'Aster Cove, au juste ? T'as entendu parler de ce qui s'y est passé ? »

Pour sûr, elle allait avoir besoin de cours de rattrapages.