Le chant des voix s'élève autour de toi et tu regardes, tu observes un monde que tu ne comprends pas. Tu n'en as de toute façon jamais fait partie, tu n'as même jamais aimé la danse qu'ils te forcent à danser. Tu n'en connais pas les pas, tu le payes au prix fort, chacun de ceux-ci est salué d'une insulte ou d'un rire malvenu, chacun de ceux-ci ancre un peu plus ton cœur dans la certitude que rien ne changera jamais. Jamais est un grand mot, et s'il t'effrayait au début, ce n'est désormais plus le cas. Tu as appris à l'apprivoiser, à le choyer, à le rassurer, ce mot qui torture et qui blesse par crainte de voir les choses évoluer. Tu lui murmures que tout ira bien, que si tout disparaît, ce sera pour mieux se reconstruire. Un jour. Ailleurs. Loin. Très loin de ton enfer personnel. Et si cela ne se produit jamais, c'est parce que le monstre t'aura tuée. Parfois, tu te demandes comment cela se passera, si tu offriras toi-même une valse à la mort ou si c'est elle qui viendra te cueillir, si tu seras contrainte de partir malgré le discret espoir qui te ronge les tripes, si un coup de travers enverra ton crâne se fissurer sur une marche ou s'il brisera tes côtes. Peut être que ces côtes-là transperceront tes organes. Peut-être que tu bleuiras lentement et que, comme la fois de ta mâchoire, il t'enverra dans ta chambre en s'excusant, te laissant partir doucement sans même s'en rendre compte.
Un soupir s'élève d'entre tes lèvres. Peut-être que c'est ça, la paix. Peut-être que c'est de s'allonger sur un lit et de fermer les yeux en sachant qu'on ne se réveillera jamais. Jamais. Encore et toujours. Tu secoues la tête. Ces pensées qui te hantent devront attendre encore un peu avant de t'emporter. Pour l'heure, tu dois rentrer, et vite. Ce soir, ton père finit à 18 heures et ne laissera passer aucun retard. Pas depuis... Peu importe. Peu importe. Peu. Importe.
« T'as vu ton reflet dans le miroir Banner ? »
Les éclats de rire te sortent de ta torpeur, te ramènent à la réalité du lycée, difficile mais idyllique face à ce qui t'attend chez toi si tu ne rentres pas à l'heure. Tes livres, tes cahiers, tes stylos, tout disparaît pour gagner à la va-vite un sac que tu poses sur ton dos avec empressement. Tes rêveries pourraient te coûter cher et c'est sans un regard vers celui qui t'a apostrophée que tu quittes la salle de classe. Le bus ne t'attendra pas, et rentrer à pieds prendra trop de temps.
La cour de récréation prend des allures de champ de mine lorsque tu y parviens. À ta droite, les Power Rangers. À ta gauche, Stan-La-Menace et ses gros bras. Foncer vers le centre en priant pour qu'ils ne t'attrapent pas semble ta seule option. Très bien. Tu presses l'allure, tu avances, tu dévores la distance et parviens à la grille en courant pratiquement. Une voix que tu n'identifies pas te crie quelque chose que tu ne comprends pas.
« -icaaaa ! »
C'est ton nom que tu crois reconnaître. Pour ne pas laisser les démons détruire jusqu'à ta nuit, tu pousses le vice jusqu'à la course. Enfin. Les rires résonnent près, trop près de toi lorsque tu gagnes le bus et que tu prends une place au hasard, cachée par la silhouette d'élèves trop grands pour qu'on te devine là. Alors, tu t'autorises à souffler. Tu es sauvée. Tu resteras encore un peu plus longtemps en vie, Jessica.
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