Son pistolet bien en main, Walter releva la tête pour essayer de voir au delà du mur contre lequel il était dissimulé. La situation était chaotique. Non seulement, les voleurs étaient parvenus à s'enfuir mais ils tenaient Mr. Padson en otage. Prenant une grande inspiration, l'intrépide policier sortit de sa cachette.
« LES MAINS EN L'AIR ! »Les voleurs, désarçonnés, écarquillèrent les yeux et levèrent d'un même mouvement leurs armes respectives. L'une gagna la tempe de ce pauvre Mr. Padson tandis que l'autre se braquait sur lui. Walter se mordit la lèvre. Mince ! Il ne savait pas vraiment comment se défaire de ce très mauvais pas et maudissait intérieurement son inconscience.
« T-tu bouges pas, o-ou je tire ! C-c'est compris ?! »Walter sentit l'hésitation dans la voix du criminel tenant Mr. Padson et s'engouffra immédiatement dans la brèche qu'il venait de trouver. Un semblant de sourire manqua de peu de s'afficher sur son joli minois lorsqu'il reprit la parole, levant les mains en signe de reddition.
« Tout va bien, du calme, je ne vais rien faire... »Le voleur lui lança une oeillade vigilante avant de se retourner en direction de la route, cherchant du regard une voiture qui n'arrivait visiblement pas.
« P'tain, p'tain, p'tain...
- Je vais frapper Steve quand il arrivera. »Walter écouta tout très attentivement et soupira pour indiquer qu'il allait parler.
« On peut sans doute négocier... Ce que vous voulez, c'est une voiture, non ? Tout le secteur est bloqué. Sans mon aide, vous ne pourrez pas partir ! »Les voleurs, soudainement paniqués, tournèrent le regard vers le policier intrépide qui allait tôt ou tard les arrêter. L'un d'entre eux, le plus fragile, reprit la parole d'une voix colérique.
« O-ouais bah tu vas nous trouver une voiture immédiatement ou sinon je le tue ! C'est compris ?!
- Ouhla... Je suis avec vous, mais vous, vous devez être avec moi. Mr. Padson doit nous revenir vivant, c'est compris ?
- C'est moi qui commande !! Pas toi !
- Compris, compris... »Les yeux des voleurs lançaient des éclairs et Walter eut presque peur que cela fasse venir l'orage. Mais il était policier et les policiers n'avaient pas peur de l'orage. Passant sa langue sur sa lèvre inférieure, il poursuivit.
« On peut trouver un accord, il suffit d-...
- Mais Putain ! Tu compr-...
- Walter Bishop ! Si j'entends encore un seul gros mot sortir de ta bouche, tu peux dire adieu à ta sortie cinéma de ce week-end ! »Les yeux de Walter s'écarquillèrent à leur tour tandis qu'il faisait volte face en direction de la maison. Devant la porte de celle-ci se trouvait sa mère. Une mère aux traits si sévères que Walter adopta immédiatement la technique des yeux de cocker.
« Mais mamaaaan ! Comment je fais les voleurs, aprèèèès ? »Un rictus de colère, gravé sur les lèvres maternelles, lui apprit cependant que cela ne serait pas suffisant.
« J'ai déjà laissé passer la dernière fois, mais là, c'en est trop ! Alors tu vas ranger tes jouets et filer te laver les mains. On mange dans dix minutes et tu les passeras à réfléchir sur ton comportement.
- Pffff...
- Pardon ?
- Rien, j'y vais... »Le policier traîna les pieds jusqu'à son ninja, son chevalier et Mr Padson, son nounours préféré, les ramassa, puis gravit les quelques marches menant à la porte d'entrée, qu'il dépassa les yeux baissés. Sa mère en profita pour ébouriffer les cheveux de l'intrépide garçonnet et poussa un soupir lorsque celui-ci protesta.
« Tu t'es encore mis de l'herbe partout... »Ce fut la dernière chose que Walter entendit avant d'aller bouder dans sa chambre. Un jour, il serait vraiment policier, et ce jour-là, maman ne pourrait plus jamais le disputer parce qu'il disait des gros-mots.
Walter tenait toujours ses promesses et celle-ci ne fit pas exception à la règle. Une vingtaine d'années plus tard, le jeune homme, intrépide et plein d'espoir, sortit major de sa promo et fut officiellement diplômé d'une école de police. Petit à petit, les pistolets à bille laissèrent la place aux armes à feu, les voleurs en peluche prirent le visage de ceux de vrais criminels et les cigarettes en chocolat apprirent à dégager des effluves bien différentes de celles qu'on associe à l'enfance. Les sourires s'élargirent en même temps que les responsabilités. D'enfant unique, il devint un grand frère et tomba follement amoureux des grands yeux bruns qui lui sourirent, ce jour-là, à la maternité. Il se promit de protéger cette petite sœur à tout jamais et jura à qui voulut l'entendre qu'il donnerait sa vie pour elle. Les sodas laissèrent leur place aux whisky, les bisous d'enfants se firent moins sages et Walter quitta ses parents pour s'installer dans son propre appartement. Lorsqu'il rentra pour la première fois dans son 12m², Walter se rendit compte qu'il était désormais un adulte.
Cette nouvelle lui tomba dessus à la manière d'une avalanche et le soir-même, Walter alla porter le deuil de son enfance dans un bar en bas de chez lui. C'est là qu'il devait rencontrer l'une des personnes les plus importantes de toute son existence. C'est là qu'il devait rencontrer Evie.
Il ne payait pas de mine. En vérité, c'était même tout l'inverse. Lorsqu'on arrivait là de nuit, on ne le voyait même pas et on était de toute façon arrêté par la ruelle elle-même, ruelle qui ressemblait furieusement à un coupe-gorge lorsqu'elle était avalée par les ombres. Il ne payait pas de mine, et forcément, lorsqu'on prenait le risque de pénétrer dans son allée, on sentait les effluves d'alcool et les relents de vomi de ceux qui n'avaient pas su se tenir. Il ne payait pas de mine, mais Walter avait quand même poussé la porte de bois qu'il avait trouvé là et avait suivi la musique comme un affamé aurait suivi l'odeur du pain chaud tout droit sorti du four. Il avait suivi la musique et avait été accueilli par des sourires. Il s'était rendu au bar et c'est là qu'il l'avait aperçue pour la première fois.
« Salut beau gosse, t'es nouveau dans le coin, non ? »Un grand sourire, une dent chevauchant les autres, jalouse, sans doute, de ne pas être la plus remarquée d'entre elles. Quelques tâches de rousseur, les yeux pétillants d'une malice qui le subjugua lorsqu'il la croisa au détour d'un regard, un débardeur noir clamant le nom d'un groupe inconnu et surtout, ces cheveux de feu, ces flammes qui dévorèrent son cœur au moment même où il les vit, qui lui volèrent sa liberté pour ne plus jamais la lui rendre.
« Je viens d'arriver, oui, j'entre demain à l'école de police. »Et puis ce rire, ce rire qui ravit ses oreilles et prit des allures de mélodie au moment même où il franchit les lèvres de l'ange, ce rire qui criait la joie de vivre et le bonheur, ce rire qui résonna à jamais dans son esprit, y prenant la place qu'il désirait et s'y inscrivant en lettres de feu.
« Voilà qu'on nous ramène un flic, maintenant ! Vous entendez les gars ? Un flic ! »Un sourire un peu idiot sur les lèvres, un coup d'oeil un peu gêné, quelques mots bredouillés au détour de l'émotion qui subjuguait son cœur.
« Et tu n'aimes pas ça, les flics... ?
- Tu rigoles ? J'adore les mecs en uniforme. »
Un clin d'oeil suffit à épingler son cœur et Walter sourit un peu plus bêtement qu'il ne le faisait déjà. Dans l'air, cette électricité venue de nulle part, suffisamment forte pour éclairer le ciel à elle-seule et hurlant depuis le tonnerre. Dans l'air, la réalité d'un éclair qui traverse les cœurs et les lie plus sûrement que tout au monde. Dans l'air, l'évidence d'un coup de foudre.
« Allez, va. Ta conso' est pour moi. On va dire que c'est ton cadeau de bienvenue, beau gosse.
- Walter. J-je... Je m'appelle Walter.
- Alors profite, Walty ! »Cette nuit-là, Walter rentra le cœur en vrac et le cerveau en désordre. Il revint le lendemain, le surlendemain et toute la semaine, puis tout le mois. Le temps passa et c'est à deux qu'ils rentrèrent. Le temps passa et les cheveux roux caressèrent ses draps, déposant leur empreinte dans un cœur où ils étaient déjà gravés. Les doigts se lièrent, les lèvres se cherchèrent pour mieux se trouver, peinèrent à se détacher et décidèrent de ne plus jamais se quitter. Le 25 janvier 1976, Walter mit genou à terre et demanda à Evie de devenir sa femme. Elle accepta. Les six années qui suivirent ne furent qu'une succession de bonheurs plus intenses les uns que les autres. Evie rencontra ses parents et sa sœur, avec laquelle elle s'entendit immédiatement. Peu de temps après, tous deux emménagèrent dans un spacieux 3 pièces de 60m² d'Aster Cove dans lequel Walter se projetait secrètement. Ils adoptèrent un chat, trouvé dans la rue un soir de pluie et bien vite, il eut le droit de monter sur les tables, les canapés et les lits, brisant les interdits qui avaient été les siens à son arrivée. Walter se révéla très doué dans son domaine et devint bientôt assistant du shérif, se rapprochant un peu plus du rêve qu'il nourrissait depuis toujours. Petit à petit, la routine s'installa, pimentée par la seule présence d'Evie, Evie qui deviendrait bientôt sa femme, qui porterait son nom et un jour, ses enfants. Walter était confiant. D'ici un an ou deux, il aurait réuni assez d'argent pour lui offrir le mariage de ses rêves. C'était sans compter sur le 27 octobre 1982, le jour où la vie de Walter s'arrêta.
Ce matin-là, il faisait froid. Le temps d'automne s'était définitivement installé et avec lui était venue la pluie. Celle-ci, glaciale et animée de ce qui semblait être une rancoeur tenace à son égard, mordait sa peau plus durement que jamais auparavant. Le ciel, d'un gris délavé pourtant très sombre, rempli d'éclairs en devenir, lâcha quelques grondements en guise de menace. Walter se fit la réflexion que c'était un temps de fin du monde et accéléra le pas. Le soleil n'était pas près de se lever et, dans les rues, personne ne s'était encore risqué à sortir. Walter se fit la réflexion qu'il devrait prévenir sa sœur de se couvrir afin d'éviter qu'elle ne meurt de froid. Contrairement à lui, elle était du genre à congeler pour pas grand chose et il était hors de question qu'elle attrape le moindre rhume. Tirant son téléphone de sa poche droite, il entama la rédaction d'un sms avant de se rendre compte qu'il n'avait aucun réseau. Finalement, l'orage le guettait d'un peu plus près qu'il ne le pensait. Un soupir quitta ses lèvres et Walter leva le nez de son portable pour se retrouver face... à ce qui n'était clairement pas le commissariat.
« Qu'est-ce que... ? »La moue dubitative qui s'imprima sur ses traits ne fit pas changer le paysage, pas plus que le tour qu'il effectua sur lui-même pour vérifier qu'il ne se trompait pas de chemin. Ce n'était pas le cas. Chaque immeuble, chaque lampadaire, chaque poubelle, chaque aspérité de la route, même, était à sa place -et dieu seul savait à quel point il les connaissait pour les avoir pratiquées. Non, la seule chose qui variait indubitablement était le commissariat, qui n'avait d'ailleurs plus rien d'un commissariat. En fait, en observant attentivement le bâtiment, ça ressemblait plutôt à une sorte de tribunal de film d'horreur, dont l'ombre austère dévorait le peu de lumière qui parvenait à passer entre les nuages et la pluie si tenace. Sans vraiment comprendre pourquoi, Walter décida de pénétrer la bâtisse et c'est d'une main semi-résolue qu'il en poussa l'énorme battant. Celui-ci grinça étonnamment fort dans le silence ambiant. C'était vrai, ça aussi. Le silence. Si cela ne l'avait tout d'abord pas frappé, en y réfléchissant un peu mieux, celui-ci était... anormalement lourd. Pas le moindre bruit de voiture à l'horizon, pas le moindre élan de voix, pas le moindre bruit de pas, rien. Juste lui. Lui, et le son de la pluie. Lui et l'écho de ses pas sur le sol. Lui, et cette sorte de sensation bizarre de ne pas être à sa place.
Lorsqu'il referma la porte derrière lui, tout s'éclaira brusquement, laissant paraître une salle remplie de gens sans visage, uniformément silencieux. Walter se sentit observer sans comprendre et se retourna quand des pas, autres que les siens, résonnèrent dans ce qui se révélait bien être une sorte de tribunal. Un sourire perdu mangea timidement ses lèvres. C'était le shérif et il allait pouvoir lui expliquer ce qui se passait ici.
« Orwell ! Vous savez ce qui se passe ici ? C'est une sorte de blague, quelque chose comme ç-...
- Mesdames, messieurs, Walty, soyez les bienvenus au procès du siècle ! Mesdames, messieurs, Walty, veuillez, s'il vous plaît, accueillir le plus grand meurtrier de tout Aster Cove !
- Qu-quoi ? »Mais alors que Walter allait pour continuer, un tonnerre d'applaudissement déchira le silence ambiant et frappa ses tympans presque trop bruyamment. Les mains sur les oreilles, il vit approcher deux hommes à l'air austère, escortant une personne au visage masqué. Un éclair d'horreur glissa le long de sa colonne vertébrale. Ces épaules, cette silhouette, cette mèche couleur de feu qui dépassait de sous le sac, Walter les reconnaissait entre mille. Ces grains de beauté, il les avait embrassés des centaines de fois. Cette personne, c'était...
« ...-pable de nombreux meurtres, exécutés avec une rare violence... »Non, c'était tout bonnement impossible.
« ...-évore les victimes et semble y prendre du plaisir. Mesdames et messieurs les jurés, Walty, je vous présente Evie Knott.
- NON ! »Les regards inexistants se tournèrent vers lui d'un seul coup.
« Non, vous devez faire erreur ! Evie n'est pas une meurtrière, vous entendez ?! Ce n'est pas une meurtrière ! E-elle est pleine de vie, toujours souriante, et elle a toujours le mot qu'il faut pour tout le monde ! Evie ne peut pas être la personne que vous dépeignez ! Réfléchissez, réfléch-... »Mais alors qu'il s'apprêtait à poursuivre, des heures durant s'il le fallait, alors qu'il s'apprêtait à défendre encore et encore cette femme qu'il voulait croire aveuglément, celle-ci se fendit d'un éclat de rire plus glaçant que tout ce qu'il avait entendu dans sa vie. Loin de ceux qu'il avait toujours connu, loin de ceux qui s'étaient gravés en lui, ce rire-là faisait froid dans le dos. Un frisson d'horreur parcourit tout son corps lorsqu'il posa le regard sur Evie. Celle-ci, les yeux rendus fous, de cette folie malsaine qui pétrifie jusqu'à votre âme, ouvrit lentement la bouche. Ce fut à cet instant précis que le cœur de Walter cessa de battre. Car des lèvres d'Evie tomba une oreille ornée d'une boucle qu'il ne connaissait que trop bien. Des lèvres d'Evie tomba l'oreille de sa sœur. Alors, les cheveux de feu qu'il aimait tant prirent les couleurs des flammes de l'enfer et la haine s'instilla tendrement dans son cœur. Un rictus plein de colère déforma ses traits. Le reste se passa comme dans un rêve. Sans même s'en rendre compte, Walter sortit son arme. Sans même s'en rendre compte, il la braqua contre Evie. Sans même s'en rendre compte, Walter se mit à pleurer. Mais, alors qu'autour de lui résonnaient les applaudissements, alors qu'Evie se remettait à rire, alors que l'oreille de sa sœur dégoulinait sur le sol, le jeune homme ne put rien tenter. Pétrifié d'horreur face au pire cauchemar de son existence, Walter se rendit brusquement compte qu'il ne pouvait choisir ni sa sœur, ni sa fiancée. Le cœur au bord des lèvres, déchiré de trop de douleur et à jamais brisé, il se mit à sangloter. Dans le ciel hurlèrent les éclairs. Et Walter disparut du monde des vivants pendant deux ans.