Un petit tour au poste de police.

Ça fait déjà deux semaines que je vais à la bibliothèque tous les mercredis après-midi dès que je sors du lycée, je laisse mes copains devant l’école et je grimpe sur mon vélo pour arriver là-bas plus vite, j’ai passé des heures vautré sur un fauteuil entre deux étagères dégueulant de bouquins qui sentent le vieux, j’avais de la poussière sur les doigts et j’oubliais toujours de revenir à l’heure pour manger, ma mère a arrêté de m’engueuler quand j’ai dit que c’était avec des livres que j’ai passé ma journée mais elle ne m’a pas demandé ce que je dévore aussi scrupuleusement dans les livres que j’emprunte. J’ai d’abord lu ceux qui parlent de crime, après de tueur en série mais nous n’en recensons aucun à Aster Cove alors quand j’ai posé des questions à la bibliothécaire, elle m’a dit de me rédiger plutôt vers les légendes urbaines du comté, fascinant ! J’ai ignoré ceux qui parlent de magie pour me focaliser sur les monstres, les disparitions inexpliquées, quelques bouquins et des vieux journaux que la bibliothèque conservent parlent des disparitions qui remontent aux années 1982, j’ai tout lu, je ne sais pas si j’ai tout retenu mais j’ai adoré ça.
J’ai parlé avec mon meilleur ami de la disparition de ses sœurs, veut-il en savoir plus ? Ou veut-il jouer au même jeu que ses parents, celui de fermer les yeux et d’attendre en espérant que ça ira. Mais qui s’imaginent sérieusement ça ? Ils reviennent en morceaux ou traumatisé, j’ose pas parler avec Georgie de ce qu’il a vécu parce que ça me soulève le cœur autant que lui, mais il est revenu. Alors pourquoi pas les sœurs de Royce ? Je l’ai convaincu qu’il fallait chercher des réponses auprès de Wyatt Barrow, c’est un témoin qu’on a refusé de prendre au sérieux parce qu’il avait bu, mais il a vu quelque chose. Mais Royce est un enfant Standall, il veut faire quelque chose mais il ne veut pas que ça lui retombe dessus, ses parents jouissent d’une trop belle réputation. Alors j’y vais tout seul, peut-être que ça va suffire pour lui filer un coup de main ?

Il fait nuit de plus en plus tôt, l’été est terminé au-dessus d’Aster Cove et ce soir je porte un gros pull avec une capuche. J’ai attendu qu’il soit tard, je voulais que tout les adultes reviennent du boulot et que le poste de police se vide. Il y aura toujours quelques personnes dedans mais moins qu’en pleine journée et ça sera plus facile d’y mettre les pieds à cette heure-là, mais je n’ai pas l’intention de passer par le secrétariat. Tôt ce matin j’ai coincé l’une des fenêtres à l’arrière, je ne sais pas sur quelle bureau elle donne mais j’espère qu’ils n’y ont pas touché, sinon ça va être plus compliqué pour rentrer.

Je serre mon guidon dans mes mains et je pousse sur les pédales pour aller plus vite, je grimpe plus facilement sur le trottoir comme ça et je me redresse de ma scelle, forçant sur mes cuisses pour me tenir hisser sur mes pieds. Je continue de rouler et quand une voiture roule de mon côté je baisse la tête ou je la tourne légèrement pour me faire le moins remarquer possible, je n’ai pas envie de me faire prendre pendant l’une de mes mauvaises idées.

J’y suis, je repose mes fesses sur ma scelle et je descend du trottoir, je coupe la route sans regarder avant de traverser et je monte sur l’autre trottoir. Je freine et je m’arrête avant d’arriver trop près du parking à côté du poste de police, il y a encore cinq voitures.

Je descend de mon vélo et je le laisse par terre, je réajuste mon sac à dos sur mes épaules. Je l’ai emmené parce que j’ai l’intention de ramener des trucs, si tout ce passe comme prévu. Alors je tourne autour du parking pour aller de l’autre côté, la fenêtre que j’ai bloquée ce matin était derrière le bâtiment. Mon cœur ne peut s’empêcher de battre follement, je suis stressé d’échoué.

La fenêtre est là, je regarde autour de moi pour être sûr de ne croiser personne et je me retourne.
Je suis soulagé, mon cœur rate un battement, elle est encore entrouverte. Je passe mes doigts dans l’ouverture et je retire le morceau de métal que j’ai utilisé pour bloquer la fenêtre, je le jette par terre puisque j’en ai plus besoin et je me hisse sur la pointe des pieds pour remonter le reste de la fenêtre, je peux rentrer aisément par-là mais pour y accéder plus facilement, j’ai besoin de grimper sur quelque chose alors je recule et je regarde autour de moi, c’est pas là qu’ils mettent les poubelles à la fin de la journée ?

Une main m’attrape et je sursaute, pendant une seconde ou peut-être deux, j’ai pensé m’être coincé à cause de quelque chose alors je tire sur mon bras mais « ça » me tire à la renverse alors je me retourne en me hissant plus haut sur mes pieds pour ne pas tomber par terre, c’est quoi ce bordel ? J’allais le hurler mais j’arrête de me débattre bêtement quand je remarque qu’il s’agit de quelqu’un et je connais cet homme.

Mes lèvres sont entrouvertes et mon torse se soulève précipitamment, j’ai eu peur, pourquoi il m’a pas seulement appeler pour que je me retourne ? Était-il obligé de me tirer comme ça ? J’agrippe le col de mon gros pull et je le réajuste autour de mon cou.

- Ne parle pas si fort !

Dis-je en agitant les mains pour qu’il baisse d’un ton, mais j’ai quand même l’impression que mes plans tombent à l’eau.
Je tourne la tête et je regarde la fenêtre, me laissera-t-il aller à l’intérieur ? Je tourne à nouveau la tête pour jeter mes yeux dans les siens, la réponse y est et je crois plutôt qu’il va me ramener chez moi en m’y traînant.

Je suis en train de me calmer, je respire moins fort et ma moue stupéfaite est tombée de mon visage mais j’ai encore la gorge serrée. Finalement, je secoue la tête et je regarde à nouveau la fenêtre.

- J’ai besoin d’un truc qui est à l’intérieur.

Un truc, c’est le terme parce que je ne sais même pas ce que je cherche, peut-être des papiers qui vont m’en dire davantage sur Wyatt Barrow, où a-t-il été emmené par exemple ? Ou le récapitulatif des quelques heures d’interrogatoire qu’il a passé, c’est ce qu’ils disent dans les bouquins que j’ai trouvé à la bibliothèque.

- C’est pour Royce, je l’aide à retrouver ses sœurs.

Je détourne le regard et quand je relève la tête, je remarque qu’il a des papiers dans l’autre main, nous ne sommes pas si différents, n’est-ce pas ?

Mes yeux remontent jusqu’au visage de cet adulte dont je me rappelle nos vieilles conversations, il voulait que je sois prudent, il pensait que je ne devais pas me mêler de « ça » mais « ça » me concerne parce que je vis ici, parce que mes meilleurs amis ont été touchés par « ça », c’est quoi vivre normalement quand ce qu’il se passe ici n’est pas normal ? Il m’avait demandé d’arrêter mes conneries mais il ne me l’a pas fait promettre. Alors finalement, comme on se retrouve !

- Tu connais Wyatt Barrow ?

Ai-je finalement laissé tomber de mes lèvres, mes yeux sont toujours dans ceux de Joshua.

Joshua lève le bras pour me rendre sa main, je baisse les yeux et je regarde les doigts de mon interlocuteur. Je peux ? Je dois surtout ? Va-t-il me saisir et me traîner de force jusqu’à sa voiture pour me ramener chez moi et, demander à ma mère de me donner une bonne leçon ? Mais, est-ce qu’elle le ferait finalement ? J’arrête de me poser des questions à ce moment-là et je lui attrape la main, je serre les doigts de Joshua et je le laisse m’aider, il me hisse jusqu’au rebord de la fenêtre, je m’y agrippe et je continue de me tenir quand il me lâche. Cependant, je ne rentre pas tout de suite, j’ai déjà une jambe à l’intérieur, le bout de ma chaussure touche par terre et l’autre jambe continue de pendre dans le vide. Je tourne la tête et je regarde mon complice, certainement pas mon ami à cause de la différence d’âge mais, mon complice c’est très bien.

Beaucoup de chance, suis-je en train de me répéter silencieusement, parce qu’il a raison. C’est bête qu’on me tombe finalement dessus mais, c’est mieux si c’est lui.
Il m’empêche de rêvasser encore un peu parce que sa voix grimpe jusqu’à mes oreilles, j’avais baissé les yeux pendant que je pensais, alors je relève le menton et je le regarde à nouveau.

- Parce qu’il a dit tellement peu de choses dans les témoignages que j’ai lu, je suis certain qu’il a raconter un tas de trucs plus intéressant à la police, il faut seulement que je puisse lire. C’était le premier témoin de ce qui est arrivé, ces propos ont été rejoint par d’autre seulement quelques mois plus tard, c’est à partir de là que tout a été pris au sérieux, mais on entendait déjà plus parler du témoignage de Wyatt Barrow, justement parce que tout le monde dit qu’il boit trop.

J’allais presque plaider sa cause en disant que la police s’imagine peut-être qu’il a raconter quelques fabulations d’homme complètement ivre mais quelqu’un arrive, je me tais soudainement et je me redresse pour regarder dans l’autre direction, j’ai parlé trop fort ? On m’a entendu ? Où est-ce en grimpant que j’ai fait du bruit ? Je me jette presque à l’intérieur de la pièce en laissant mon complice en plan, et je vais me recroqueviller péniblement sous le bureau, étroitement serré entre celui-ci et les pieds de la chaise au moment où la porte de l’autre côté s’ouvre, je ferme la bouche et je respire plus lentement par le nez pour faire le moins de bruit possible, vais-je me faire attraper maintenant ? Si près d’avoir ce que je voulais ?

Le bruit des pas tournent autour du bureau, je tourne la tête et je regarde les chaussures de l’agent de police, mais cet homme est trop grand pour remarquer que je me cache sous le bureau. Par contre, il voit que la fenêtre est ouverte mais il ne parle pas. Où est Joshua ? Il a eut le temps de partir ? Et, va-t-il revenir ? Un bruit m’arrive aux oreilles, je crois que l’agent de police vient de refermer la fenêtre, il tire sur le dossier de sa chaise maintenant et il s’approche d’elle mais il ne s’assoit pas encore, tant mieux pour moi.

Il ne s’en va pas, je l’entend ramasser des feuilles au-dessus de ma tête, mes doigts rejoignent lentement ma bouche et j’écrase ma paume dessus pour continuer d’étouffer le son de ma respiration qui s’accélère inévitablement à cause du stress.

Les pas piétinent à côté de moi et une deuxième voix s’élève, c’est celle de Joshua, je tourne la tête et je regarde le bout des chaussures de l’agent, il tourne en rond, il reste à côté de moi mais il ne remarque pas que je suis planqué là-dessous, c’est indéniablement parce que Joshua est en train de lui faire la conversation, il attire son attention, « merci » pensais-je, « merci » me répétais-je plusieurs fois en mordant dans ma lèvre inférieure.

Le bout des chaussures de l’agent s’éloignent enfin, je l’écoute marcher en posant mes deux paumes à plat par terre, je suis grand pour mon âge et rester recroquevillé sous le bureau me donne mal aux reins, mal aux genoux, j’ai même une crampe dans la jambe mais je ne sors pas tout de suite, même pas quand Joshua me laisse entendre que je peux pourtant mais quand je sors, j’échappe un gémissement qui ressemble plus à un râle rauque et je déplies enfin mes longues jambes, je me lève et je m’aide de l’accoudoir de la chaise pour me redresser.

Heureux, n’est-ce pas ? Je secoue lentement la tête au lieu de dire oui, par contre je dis enfin « merci » à voix haute et je détourne le regard pour chercher les casiers ou les agents mettent et entassent les dossiers qu’ils archivent.

- Qu’est-ce que tu cherches toi ? Après quoi tu cours ? La vérité ?

Dis-je en feuilletant dans les papiers, je lève parfois le nez de ce que je suis en train de lire pour regarder Joshua.

Lui, il est au courant de ce qui m’amène jusqu’ici cette nuit et aussi pourquoi il me retrouve dans les bois, au milieu de la nuit, avec ma lampe torche et mes espoirs que ma conviction nourrit.
Mais Joshua, pourquoi fait-il ça ? Pourquoi a-t-il le besoin (apparemment nourrit par la même hargne) de comprendre et/ou de vouloir savoir ? Pourquoi ça l’affame au point qu’il veuille autant savoir ?

J’ai encore les mains dans les papiers mais je ne feuillette plus les pages, je dévisage Joshua dans l’autre coin de la pièce et je fronce un peu les sourcils (non pas de mécontentement, plutôt parce que je suis concentré, attentif au moindre mot qu’il me jette, à la toute petite grimace pouvant habillé son visage, même aux bruits qui ne sont pas à cause de nous, juste au cas où).
Je tourne la tête et je baisse les yeux quand il m’avoue qu’il connaît beaucoup trop bien ce que je ressens en ce moment, cette injustice, cette douleur peut-être, oserais-je dire cette obsession ? Je survole du regard les mots qui sont sur la feuille que j’ai dans les mains mais je ne lis pas, j’écoute la voix grave de Joshua qui lézarde discrètement les murs du bureau.

Walter Bishop, c’est certainement de lui dont il est en train de parler lorsqu’il dit « mon ami d’enfance », je me suis renseigné à propos des disparus, puisque mon autre meilleur ami l’a été pendant deux interminables années. Et à chaque fois que je m’autorise à penser au passé, mon cœur se soulève lorsqu’il ne se serre pas monstrueusement dans ma poitrine, je voudrais parfois qu’il tombe de ma cage thoracique.

Lorsqu’il sous entend que je ne suis pas le seul je relève le menton et je jette à nouveau mes yeux dans les siens, est-ce qu’il me trouve égoïste ou imprudent ? J’ai l’impression de reconnaître ce que j’entrevois dans les yeux de cet homme, même de là et avec les dernières lueurs du soleil qui tapent dedans, ma mère me regarde de la même manière parfois, de plus en plus en ce moment. Quand je rentre tard par exemple ou juste avant que je m’enferme dans ma chambre pour pas qu’elle m’y suive. Aussi loin que je me souvienne (et je n’aime pas me rappeler, certainement parce que ça fait trop mal), mon père n’a jamais posé un regard comme celui-là sur moi, suis-je en train de trouver plus d’inquiétude dans ceux d’un adulte pour qui je ne suis rien, plutôt que mon père ?

- Tu es en train d’accuser le gouvernement ?

Je surenchéris tout de suite pour pas qu’il est le temps de répondre à ma première question puisque finalement, la deuxième rejoint la précédente.

- Il y a des intérêts politiques à ce que cette vérité reste planquée sous nos pieds ?

Je me redresse et je laisse les papiers traîner sur le bureau, mes bras retombent le long de mon corps, mes yeux restent vissés dans ceux de Joshua.

- Pourquoi Aster Cove ? Parce que c’est une petite ville, personne n’aurait idée de venir fouiller ici ? J’ai pas recensé d’événements comme ceux là dans une autre ville qu’ici.  

Je détourne le regard et je ramasse les feuilles que j’ai remise sur le bureau à l’instant, Joshua va sûrement me tuer mais je le fais quand même, j’enfourne les feuilles dans mon sac à dos, je voudrais lire ça chez moi, ici c’est trop risqué, je ne peux pas rester là parce qu’on finira par me surprendre ici.