Impossible de te faire taire, c'est fou ce que tu parles. Tu n'écoutes pas, tu t'écoutes parler. Toi tu ne comprends pas vraiment. Gamin, tes parents s'inquiétaient, apparement c'était difficile de t'arracher trois mots, alors comment on en est arrivé là dis moi ? Peut-être que tu veux te rendre intéressant. T'aimerais bien qu'on t'aime. En fait, t'as peur qu'on puisse penser du mal de toi, tu ne supporterais pas. Tu es le gentil de l'histoire. Pas vrai ? Quitte à passer sous silence certaines idées. Tu rentreras dans le rang, même si tu flippes d'être banal.
Et puis tu te demandes : comment on se rend compte quand on loupe sa vie ? Est ce que tu ne serais pas en train de passer à côté de la tienne ? Tu as vingt-sept ans, l'âge ou les rock star tombent. À une époque tu as pensé que pour toi aussi, ça se terminerait à ce moment-là. Sauf que t'es toujours debout, que Hendrix, Joplin et Morrison sont bien mort eux et qu'à priori, ils auraient plutôt honte de toi si tu les rejoignais maintenant. Tu n'as pas accompli grand chose, pire, tu restes bloqué. Tu as dix ans de moins dans ta tête, c'est comme si le lycée tu ne l'avais jamais quitté, d'ailleurs depuis deux ans, tu y officies comme professeur. Et plus le temps file, plus tu te rends compte du gouffre qui vous sépare, tes élèves et toi. Trop vieux déjà pour tout à fait les comprendre, mais trop jeune encore pour que la hiérarchie te prenne au sérieux.
Mais a quel moment ça a commencé à ne plus fonctionner ? Où est passé l'enchantement ? Le fameux après qui tu cours ? À défaut de le trouver tu perds ton temps devant le flipper, tu cherches désespérément à te lier à des gens qui ont la moitié de ton âge en pensant que tu vas retrouver ton insouciance, tu fuis les responsabilités trop lourdes. Ca existe, ça, la crise des 27 ans ?
Tes parents habitent toujours Aster Cove, ta sœur aussi. Elle est mariée. Et toi c'est pour quand ? Ca inquiète un peu tes proches. À ce train là, ton neveu aura fondé une famille avant toi. C'est que côté coeur, tu n'as jamais été très chanceux. Il y a bien ton premier amour qui traîne encore dans le coin, tu l'as croisé au super marché l'autre jour, tu as pas été foutu de lui adresser la parole. Et puis il y a eu elle. Mais elle, c'est compliqué. Parce que elle, tu t'es fait des films. D'ailleurs elle, c'est la honte. Tu n'aurais jamais dû penser à elle. Jamais. De toute manière il ne s'est jamais rien passé. Le jour où tu l'as invité au drive in, elle a disparu. Et depuis c'est l'angoisse. C'est le hasard ? Est ce qu'elle n'a pas délibérément quitté la ville ? Est ce que tu aurais dû en parler à la police ? Est ce que le destin a voulu frapper un grand coup pour t'empêcher de faire la pire des conneries ? Tu culpabilises. Parce que Annie, tu l'aimais bien, un peu trop concrétement. Parfois tu te demandes même si ce n'est pas toi le coupable. Bref, c'est l'angoisse.
Il a fier allure le gendre idéal. Parce que c'est sur, avec tes airs de grands naïfs tu mets tout le monde dans ta poche, tu obtiens la confiance de tes pairs sans trop de difficultés, c'est un atout. Mais ça t'étouffe, depuis deux ans maintenant tu as l'impression de mentir à ton monde, que ça se lit sur ta figure que tu aurais pu fauter avec une mineure. On ne t'y reprendra pas.
Mais la vie a continué. Il serait temps que tu réalises qu'elle ne t'attends pas. Ces disparitions elles t'ont rendu un peu paranoïaque, tu en mettrais ta main au feu il se trame quelque chose de pas très normal dans le coin. Tu as une imagination assez débordante, tu t'invtes des scénarios si complexes qu'ils pourraient être projeté sur la toile blanche du drive in le samedi soir. Tu n'es pas si loin du compte finalement, mais qui te donneras raison ?