Of Angels and Cherries (Ange)

Hello, daddy. Hello, mom.
I'm your ch-ch-ch-cherry bomb!

La pâte à mâcher rose parfumée est capturée par le petit morceau de papier brillant puis abandonnée dans la poubelle de la ruelle. La petite clochette du dinner se dandine dans un bruit aiguë. Clac. Clac. Les talons de tes chaussures claquent contre le carrelage coloré. Ange retire ses lunettes de soleil. Vendredi soir. Heure de pointe. L'endroit est bondé. Lèvres rouges qui se retroussent en un petit sourire. T'es venue pour ça, après tout. Plus il y a de monde, plus il y a de regards sur toi, pas vrai ?

Première banquette sur la gauche. Trois regards. Le père, offusqué. La mère, méprisante. L'enfant, curieux. Banquette suivante sur la droite. Deux regard. Le quater-back, ses yeux sur tes jambes. La pom-pom, hautaine. Deux banquettes plus loin. Un regard. Le vieux grand-père, le même sourire courtois. Ne détachez pas vos yeux de moi.

Hello world! I'm your wild girl.
I'm your ch-ch-ch-cherry bomb!

Même place, même serveur. Joli petit coeur, bouclette qui retombe sur le front, même sourire, même clin d'oeil. Tu le trouvais mignon, ce Aaron. Parfois, tu te demandais s'il te souriait à toi, ou à moi. Mais au final, tu préférais juste te dire que c'était un gentil garçon.

T'as les écouteurs vissés aux oreilles, ton walkman posé sur la table. La voix de Cherie résonne dans ta tête. Et comme par magie, le milkshake apparaît avec ton beau serveur. Les Runaways se taisent et le beau brun prends la parole. Il se justifie, tu trouve ça chou, ton doigt glisse sur la chantilly et vient franchir tes lèvres rouges.


- Dis-toi que c'est grâce à eux que tu peux te défoncer les pouces à l'arcade alors serre les fesses et fais ton joli sourire jusqu'à ce que ça passe.


Clin d'oeil complice, tu veux t'attaquer à la cerise confite. La tige est entre tes doigts et le rouge scintille autant que la curiosité du garçon. Tu ouvres la bouche et glisse la confiserie sur ta langue. Sucrée, pétillante. Tu lui souris.


- Je suis pas le genre de personnes à avoir des amis.


Sa voix, elle avait quelque chose de spéciale. Elle était douce et pourtant, elle semblait un peu brisée, quelque part. Comme celle d'un enfant. Elle croise les jambes, arrange sa jupe, plante ses yeux bleus dans le regard curieux du serveur.


- Moi, j'ai pas besoin d'amis. J'ai besoin d'admirateurs.


Regard étrange, le mystère et l'amusement se battent en duel. Et le bout de la paille blanche est marqué du rouge de tes lèvres.

Aaron rit, un rire cristallin, et sincère. Elle n'a pas tort, Ange. Sans ce job, sans tous ces clients, le fric serait des plus inexistants. Non pas qu'il soit très présent, mais c'est toujours préférable au trou noir qui résumait son compte il n'y a pas de ça deux ans. Alors oui, c'est pas le job le plus parfait qui soit, mais ça reste un job. Avec un salaire constant, qui lui permet de faire tourner sa voiture, et de dépenser tout le reste dans les Arcades - à mettre au défi des gosses de la moitié de son âge. Mon joli sourire en fait craquer plus d'une - et plus d'un, c'est vrai. Aaron, c'est pas un canon de beauté, il en a conscience, mais parait qu'il a un certain charme. Il en a conscience, et en joue, sans jamais en abuser. Il aurait certainement plus de succès s'il ne passait pas autant de temps à jouer aux jeux-vidéos ou à être un loser chaotique, selon certains clients habituels. Whatever.

Elle n'a pas besoin d'amis, qu'elle affirme. Aaron hoche vaguement de la tête, sans se départir de son sourire. Il comprend tout à fait, et ne cherche même pas à la contredire. Aaron n'a jamais cherché à s'en faire non plus. Ses amis, il les a trouvé par un grand hasard et, pour la plupart, ils sont tous semblables. Aaron s'entend avec tout le monde, fort d'une grande sociabilité. Mais ses plus proches amis sont des gosses ainsi que son professeur de français. Et puis, River. Mais elle mérité un titre fait rien que pour elle. A mi-chemin entre amie et amante. A mi-chemin entre discussions au détour d'un couloir, et chuchotements intimes à l'arrière d'une voiture. L'amie-ennemie qui tient une place spéciale dans son coeur.

Et puis il y a Ange. Ils ne sont pas encore amis, mais ils ne sont pas non plus de simples connaissances. Selon Aaron, les termes manquent pour définir toutes ces personnes qui régissent sa vie. Des termes qu'il aimerait pouvoir inventer, rien que pour elles. Et seulement pour elles. Des admirateurs. Je suis déjà admiratif. Aaron l'admire oui, mais pour tas d'autres raisons. Pour sa confiance en elle, pour l'élégance qu'elle dégage, et la simplicité avec laquelle il parvient à s'ouvrir à elle. En plus de sa capacité à déguster un milkshake avec autant de sensualité. Il veut bien être un de ses admirateurs si elle le désire.

Aaron délaisse ses clients, délaisse ses collègues, tirant sa révérence pour ce soir. Bien plus occupée à passer le reste de sa soirée en compagnie d'Ange. Tu montres autant de sensualité et de passion envers la gente masculine que tu n'en montres envers cette paille ? Car si oui, ton nombre d'admirateurs risque de grimper bien vite. Il en dit peut-être plus qu'il ne le devrait, mais il est pas connu pour avoir un filtre, Aaron. Il dit tout ce qu'il pense, sans même réfléchir. Souvent à ses propres risques et périls.

Un aller-retour vite fait des cuisines, et le voilà lui aussi en possession d'un milkshake, la cerise en moins.

Ce gentil Aaron. Avec ses petits sourires, cette façon qu'il avait de regarder les gens, de te regarder. Il était charmant et ne laissait jamais ses clients de côté. Pour ne rien gâcher, Ange le trouvait très séduisant et ne se cachait même pas pour le lui montrer. D'ailleurs, elle essayait toujours de passer pendant ses services et ne restait jamais bien longtemps quand il était absent. Les garçons comme Aaron se faisaient rares pour Ange qui ne connaissait que les intimidations et les coups bas.

La boisson glacée rafraîchit sa gorge et ce bon goût de fraise ravit ses papilles. Le dinner, c'était son repère. Le premier endroit qu'elle avait découvert en arrivant à Aster Cove. Là où elle avait prit son premier vrai petit déjeuner américain - parce que le café-clope de Théodore n'en était définitivement pas un. Là où elle buvait son milkshake préféré, les jours de beau temps. Là où elle venait se cacher après une journée difficile au lycée. Là où elle emmenait, tard le soir en semaine, les garçons curieux.
Là où elle venait se consoler après une déception amoureuse avec une bonne assiette de pancakes. Là où elle pouvait s'éloigner de toutes cette pression psychologique que les habitants de la ville lui infligeaient.

Je suis déjà admiratif. Ange esquisse un fin sourire, les joues à peine rosées. Les petites attentions de ce genre, c'est sa faiblesse. Aaron était un gentil garçon. Mais tu avais dit pareil pour le garçon qui t'a laissé derrière les gradins après s'être bien servie de toi. Et celui d'avant qui t'a tripoté dans les toilettes avant de partir en courant dès que sa main est passée sous son t-shirt. Ou encore celui qui t'as carrément expulsé de sa voiture quand il a comprit qui tu étais. Les hommes sont toujours gentils, au début. Mais tu ne retiens jamais la leçon, tu te laisse amadouer. Et Aaron continue de te flatter. Et toi, tu bois simplement ses paroles avec un peu de ce délicieux milkshake.

Ton nombre d'admirateurs risque de grimper bien vite. S'il savait. D'ailleurs, peut-être le sait-il déjà ? Peut être qu'il s'en fiche ? Peut être que ça ne fera aucune différence pour lui ? Peut être qu'il voudra bien être ton ami, lui ? Peut être qu'il est différent ? Allons, Ange. Ne sois pas naïve. Tu pousses un soupire en haussant simplement les épaules, l'air presque désabusée.


- Quel vil flatteur tu es ! Mais ça ne risque pas, non. Je n'ai pas .. bonne réputation. Les garçons ne s'intéressent pas à moi. Ou alors, pas très longtemps.


Ses yeux bleus viennent se fixer aux prunelles du jeune homme. Tu veux jouer Ange ? En es-tu sûre ? Après tout, il y a toujours ce risque qu'en apprenant la vérité, Aaron s'éloigne. Elle croise les jambes en reprenant la paille entre ses lèvres. Aaron s'éclipse un instant pour aller se chercher un milkshake, tu en profites pour remettre un peu de rouge. Alors qu'il prends place, tu reprends.


- Mais pour répondre à ta question, je suis une femme passionnée. Dommage que les hommes de cette ville soient incapable de le comprendre.


Tu lèves la tête, arrange tes cheveux. Il a dans les mouvements d'Ange toujours beaucoup de délicatesse. Une douceur aux bouts de ses doigts, un mouvement toujours harmonieux, sans parasites. Et tous les jours que Dieu faisait, tu maudissais le ciel de m'avoir fait naître à ta place.  

Aaron ne connait que trop bien les rumeurs au sujet d'Ange. C'est une petite ville, et tout le monde sait tout sur tout le monde. Un fait que regrette souvent Aaron, lui qui aspire à plus de mystères et de suspens. Il n'y a aucun intérêt de vouloir aller vers quelqu'un pour discuter quand l'on sait déjà tout sur cette même personne. Il trouve ça dommage, Aaron, que les habitants trouvent plus d'intérêt à espionner leurs voisins et à colporter des rumeurs et autres faits étranges. Il doutait grandement que le fait que Mr. Jameson prenne un café sur sa terrasse tous les jours à 15h32 pétante soit d'une importance capitale aux yeux de tout Aster Cove. Les gens n'ont plus aucune intimité, et c'est sans doute ça qui le met le plus hors de lui. Mais il est inutile de vouloir changer les choses, personne ne pourrait réaliser une telle prouesse, malgré tout l'or du monde. Les petites villes d'Aster Cove ont toujours vécu ainsi, et ce n'est définitivement pas demain la veille que les choses se mettraient à changer.

Oui, Aaron a entendu les rumeurs sur Ange. Comme il a entendu les rumeurs à son propre sujet. Des rumeurs qui ne volent pas haut, par ailleurs. Des faits non avérés, qui le font rire plus qu'autre chose. Sa réputation à lui n'est plus à faire, et ce n'est pas comme si il en avait quelque chose à faire de ce que peuvent bien dire le reste du quartier à son sujet. Dix-neuf ans à entendre des belles, sans pour autant que ça ne vienne entacher sa dignité. Ce genre de rumeurs le fait rire, et il préfère en jouer plutôt que de les laisser l'atteindre. Il a l'habitude, à force. Mais Ange. Que tout le monde reporte son venin sur elle, la petite nouvelle - celle qui n'était pas originaire d'Aster Cove. Étrangement, les gens semblaient redoubler de créativité et de cruauté lorsqu'il s'agissait de nouveaux venus. Comme si les natifs ne méritaient pas autant de méchanceté. Il se souvient des Queen bees, ces reines du lycée qui se prenaient pour plus qu'elles n'étaient, martyriser Ange. La douceur incarnée. Et il ne comprend pas à quel point on peut se montrer aussi cruel envers quelqu'un. Les rumeurs vont bon train, et nulle doute qu'elles continueront de connaître un avenir radieux dans le futur. Saloperies.

Ils ne savent pas ce qu'ils perdent. Et puis je vais te raconter un secret : les mecs sont des abrutis. J'en sais quelque chose, j'en suis un.

Une confidence comme une autre, en apparence du moins. Ce n'est un secret pour personne en réalité : les membres du genre masculin se comportent toujours comme des crétins. D'une manière ou d'une autre, ils finissent toujours par faire une connerie et par s'en mordre les doigts tôt ou tard. Tous ne sont pas à mettre dans le même panier, toutefois. Et Aaron aime à se penser différent du reste. Du moins, dans le sens où il ne se sert pas des filles comme de vulgaires objets pour ensuite les rejeter comme de malheureuses chaussettes. Elles méritent bien mieux que ça.

Aaron sirote son milkshake, avec moins d'entrain et de sensualité qu'Ange cependant. Il l'observe, contemplant ses yeux, et son visage si délicat. Tant de douceur dans un être, il ne pense pas que ce soit possible. Et pourtant. C'est ce qu'il apprécie tant chez elle, qu'elle soit elle-même. Qu'elle vive sa vie comme elle l'entend, malgré les carcans que nous impose cette société si conservatrice. Ange porte bien son nom, après tout.  

Et puis j'ai appris à ne jamais me fier aux réputations des gens, la plupart du temps, c'est un portrait loin d'être flatteur.

Aaron connait les rumeurs sur Ange. Comme tout le monde, sans doute. Et que les rumeurs soient vraies ou fausses (bien qu'il doute de la véracité de tels propos) à ce sujet ne changent rien à la donne. Il doute fortement que ça mérite autant de méchanceté à ce sujet. Elle ne mérite absolument pas qu'on dresse une image aussi calomnieuse d'elle. Mais dans une ville aussi conservatrice qu'Aster Cove, malheureusement, la moindre différence était sujette aux regards hautains et aux commérages.

Une femme passionnée. C'est tout à ton honneur.

Et au vingt-et-unième siècle, il était grand temps de laisser les préjugés au placard et d'embrasser un peu d'idées progressistes, que diable. Les passionnés révolutionnaient le monde, c'est bien connu.

Quand elle est arrivée à Aster Cove, Ange prit conscience de deux choses. La première est que son père ne reviendrait probablement pas la chercher. La deuxième est qu'elle devrait affronter le jugement d'une petite ville à la mentalité bien réduite. Pour couronner le tout, Théodore n'était en aucun cas le genre d'homme à avoir bonne réputation. C'était une espèce d'ours mal léché, un ancien taulard arrivé il y a dix ans, vivant reclus dans une espèce de cabane à la frontière entre les quartiers Nord et Sud, les pieds entre les troncs d'arbres. La ville n'avait accepté sa présence que grâce à l'influence de John Harrington qui disparut quelque mois après l'arrivée d'Ange, ce qui ne facilita pas son intégration, loin de là. Les plus bourrus affirmaient même que c'était cette dévergondé qui logeait chez Théodore qui avait causé les disparitions de la ville. Pour ce qui est des rumeurs, il était clair qu'elle avait été gâtée. Et bien que son oncle ne soit pas le meilleur modèle qu'elle puisse avoir, il avait sut faire preuve d'assez de fermeté en ce qui concernait le traitement que les habitants pouvaient lui faire subir. Il tenait à son argent, après tout. C'est en tout cas ce que supposait Ange.

Avec le temps, Ange avait simplement cessé de croire en eux. De croire au miracle. Elle avait pensé à partir. Tellement de fois. Mais pour aller où ? Retourner à Tokyo là où personne ne voulait d'elle ? Retourner à Paris en se fiant à des bribes de souvenirs de quand elle n'avait que sept ans ? Aller chez les parents de sa mère au Sud de la France qui ne la voyait que comme le fruit d'un adultère doublé d'une erreur de la nature ? Impossible. Ange vivait peut être dans l'espoir que la science soit capable de réaliser son rêve sans que la mort ne vienne planer au dessus de sa tête comme ce fut le cas pour Lily Elbe, il y a plus de cinquante ans. Bien heureusement, des femmes transgenres commencent à se faire connaître. Récemment, c'est Renée Richards qui a fait le plus de bruit. Et quand Ange voit à quel point elle a l'air épanouie, ça lui redonne de l'espoir. Il faut être patiente, Ange. Un peu de patience et peut être qu'un jour, tu te retrouveras enfin sur la table d'opération et je pourrais me donner entièrement à toi. Pour toujours.

Aaron était un garçon adorable. Elle avait souvent du mal à réaliser que certaines personnes pouvaient être foncièrement gentilles, elle qui n'avait eut à faire qu'à des hypocrites manipulateurs Elle qui d'ailleurs, était loin d'être un exemple de pureté et d'innocence. Parfois, elle jalousait ces personnes qui pouvaient se soucier des autres d'une manière détachée, sans savoir si elles seront remerciées pour leurs gestes ou non. Ange en était incapable. Elle n'avait aucune envie de ressembler à Isaac, qui se contentait de se laisser marcher dessus par crainte. Isaac était dans la peur, dans l'ombre. Ange était la lumière. Elle lui sourit, ses yeux énigmatiques se plongeant dans deux du beau serveur.


- Tu es adorable, Aaron. Vraiment. C'est dommage qu'il n'y en ait pas plus des comme toi, dans mon lycée. A la place, j'ai le droit à des hypocrites qui me draguent à l'abris des regards mais qui font semblants de ne pas me voir dans les couloirs du lycée. Tu as raison. Les garçons sont des abrutis. Heureusement que mon serveur préféré n'en est pas un.


Répondit-elle, lui adressant un clin d’œil complice. Ange se penche légèrement pour reprendre la paille entre ses lèvres. Ce liquide glacée goût fraise avait le don d'effacer toute la mélancolie de son petit cœur. Comme un joli pansement à fleurs qu'on mets sur une petite coupure. Et discuter avec Aaron ne faisait que lui faire réaliser que tout n'était pas perdu. Qu'un jour, peut être, elle réussirait à se sentir à sa place, quelque part. Et peut être même que ce quelque part sera ici. Alors que son verre est enfin vidé, la demoiselle se redresse en ricanant.


- Les rumeurs sont drôles à écouter. Tu veux connaître mon secret à moi ? Je les écris toute dans un petit carnet et je note leur originalité, haha. Certaines ont eut étonnement de très bons résultats.


Dit-elle, faussement pensive, avant de finalement pouffer légèrement de rire. Les rumeurs, ça ne la touchait pas. Ça ne la touchait plus. On pouvait dire ce qu'on voulait d'elle, elle savait qui elle était. Tu sais qui nous sommes.