☾ in the land of gods and monsters, i was an angel.

Washington DC. C'est ici qu'elle est née, et pourtant elle ne se souvient pas du moindre paysage de cette ville. En effet, quelques semaines après sa naissance, ses parents, Isao et Atsumi Yamaoka, deux japonais qui avaient réussis à atteindre les terres américaines et à s'y adapter, décidèrent de quitter Washington pour se retirer bien loin de chez eux après des mois de recherches, alors enceinte de sa future fille, à Aster Cove. C'est ainsi dans cette petite bourgade du Maine que Rin Yamaoka passa son enfance. Une enfance heureuse, et ce malgré les problèmes financiers que ses parents vinrent rencontrer au fil des années. Ils avaient misé leurs entières économies sur la construction d'une maison dans un coin reculé du centre-ville afin de pouvoir vivre tranquillement, une petite maison traditionnelle qui leur rappelait leurs origines. Et Rin s'y plaisait, dans cette petite maison. Elle y trouva rapidement son bonheur en passant la plupart de son temps dans le jardin, en y invitant ses amis pour y jouer, ou encore à apprendre à cuisiner en compagnie de sa mère. Son père, pour sa part, se faisait de moins en moins présent, très certainement à cause des ennuis financiers qui se faisaient de plus en plus importants. Il travaillait, bien trop d'ailleurs. Puis sa mère tomba malade, alors qu'elle n'avait que quinze ans. Remonter la pente fut rude pour les Yamaoka, mais pas impossible. Cependant, des concessions ont dû être faites pour cela, et ils abattirent bientôt leur maison chérie pour se retrouver à vivre dans une nouvelle maison en plein centre-ville, étonnement moins coûteuse. En parallèle, tandis qu'elle grandissait, Rin se permettait un petit boulot qu'elle accomplissait après le lycée. Jusqu'ici, elle avait eut son lot de bonheur, son lot de problèmes. Mais ce n'était encore rien par rapport à ce qui allait venir. Le drame, son drame, se passa un an après environ. Aujourd'hui, lorsqu'elle tente de s'en souvenir, sa mémoire ne peut que lui donner que de brefs flashs, de brèves images si sombres qu'elle pourrait douter de ce qu'il s'était passé si cela ne l'avait pas marquée, si elle n'y croyait aujourd'hui pas dur comme fer. Chaque jour, elle tente de se remémorer cette fameuse nuit, mais les années qui passent ne peuvent s'empêcher de la flouter. Mais elle le savait. Elle en était persuadée. Elle savait ce qu'elle avait vu. Ou peut-être cru voir ? Arrête, Rin. Ce n'est pas le moment de baisser les bras. Tu sais très bien que ce n'était pas quelque chose de normal.

Elle le voyait bien, qu'ils la regardaient mal. Certains avaient des coins dans leurs sourires, d'autres la dévisageaient. Elle n'était pas comme eux. Physiquement, tout d'abord. Simplement parce qu'elle n'abordait pas les traits classiques de l'adolescent des années soixante-dix. Ses yeux bridés malgré elle faisaient rire, d'autant plus que ce comportement entraînait chez l'adolescente une certaine réservation. Elle ne savait pas s'intégrer parmi eux, ne savait pas quoi dire ou faire, n'y arrivait tout simplement pas. Les enfants sont parfois cruels entre eux. Si certains jours on ne prêtait pas attention à sa petite existence, les autres se passaient souvent mal. Plusieurs fois elle s'était retrouvée à s'enfermer dans sa chambre, à pleurer en silence à cause d'une solitude qui la rongeait bien trop. Elle avait désespérément besoin de personnes pour l'entourer. Elle aimait ses parents, certes. Mais Rin avait aussi besoin de grandir et de s'épanouir avec les jeunes de son âge. Ce qui ne se passa jamais. Il y avait eu une petite fête, au niveau des bois. Il n'était pas tard du tout, mais la nuit allait tomber très bientôt. Et l'erreur de la jeune fille avait été d'y aller, alors qu'elle y avait été invitée par ces mêmes personnes qui lui bousillaient quotidiennement la vie. Pourquoi, d'ailleurs ? Peut-être pour ne pas leur montrer qu'elle s'écrasait face à eux. Qu'en y allant, elle pouvait montrer qu'elle était plus forte qu'elle n'en avait l'air. Mais encore une fois, sur place, tout recommença. On rit encore de son physique, on l'appelait tarée, folle, pas normale tandis que les larmes lui montaient aux yeux. Et on alla même jusqu'à lui renverser de l'alcool sur une robe qu'elle avait spécialement sortie pour cette soirée. Puis ce fut trop. Sans même songer à où elle allait comme ça, elle s'était retournée, et avait couru. Elle avait couru le plus vite qu'elle avait pu, sans se soucier d'où elle allait se retrouver, de ce qui pourrait lui arriver, ni même de l'heure qui se fit tardive. Et c'est là. C'est là, que ça se passa. Elle n'eut même pas le temps de retrouver son souffle, qu'elle se retrouva de nouveau à courir. Elle espérait seulement en ressortir vivante. Elle espérait seulement que ses pieds ne la trahissent pas, qu'ils ne s'entremêlent pas, qu'elle ne tombe pas. Qu'elle ne s'arrête pas. Elle avait couru, sans se retourner. Elle ne sait pas combien de temps cela a duré. Une éternité, cela lui avait semblé. Et lorsqu'elle avait pu enfin apercevoir la fin de la densité feuillue de la forêt, entendit sirènes de police non loin, un brin d'espoir s'alluma. Un coup d'adrénaline lui suffit à quitter cet endroit abominable, peut-être pour en retrouver un autre tout aussi pire. Ceux qu'elle avait laissés plus tôt se trouvaient encore là, la regardaient de haut en bas, grimaçaient et souriaient. Ses parents étaient là, aussi, tout comme la police.

Rin ne savait pas encore définir ce qui aurait pu la poursuivre. Peut-être que ses états d'âmes lui avaient joué des tours, peut-être pas. La chose aurait pu l'agripper, mais non. Rien qui ne pouvait lui permettre de prouver l'existence d'une chose qui n'existait peut-être pas. Elle a tenté d'en parler à ses parents, mais ceux-ci restèrent sceptiques, bien qu'aussi inquiets. La brune laissa quelques jours passer, avant de retourner dans la forêt après ses cours, cette fois-ci de jour. Mais elle n'y retrouva jamais rien. Cette étrange silhouette, cette forme bien trop floue, la hanta pendant des nuits. Elle n'était même pas capable de dire si c'était humain, animal. Ça ne ressemblait à rien à ce qu'elle avait  vu et en même temps à tout. Mais Rin en resta profondément atteinte, peut-être bien trop. Elle s'enticha dans une solitude plus ample, coupa presque les ponts avec ses parents, et devint obsédé par cet étrange souvenir, la seule chose à laquelle elle était capable de se raccrocher. La fin de sa scolarité se passa mal, et elle repartit faire des études à Washington DC, avant de revenir à Aster Cove il y a trois ans, lorsque les disparitions commencèrent.