(Il met l'enregistrement en route).
(Elle le regarde faire).
- Si tu ressens, à n'importe quel moment le besoin d'arrêter il te suffit de me le dire.
- Vous aussi.
- Hum
(il fronce les sourcils) ok... Alors Annie, tu peux me raconter ce qu'il s'est passé ce jour-là ?
- Non...
(temps de pause) Je n'me souviens pas...
- Ce n'est pas grave, reprenons ensemble depuis le début.
(Il tourne les pages de son calepin). Le 10 mars 1982, il est huit heures du matin quand tu arrives en cours c'est ca ?
- Oui.
- Tu vas directement en classe ?
- Oui.
- Tu ne t'arrêtes pas prendre des affaires dans ton casier ?
- Pas le temps.
- Pourquoi ?
- J'ai une interro d'allemand avec Madame Druker.
- Et ?
- Et elle arrive systématiquement en avance pour commencer plus tôt.
- Comment se passe le contrôle ?
- Pardon ?
- Est ce que tu trouves l'examen dur ?
- J'avais compris la première fois. Je ne comprends pas l'intérêt de la question ?
- C'est pour t'aider à te remémorer, on opère par ordre chronologique, on s'intéresse aux petits détails pour en faire émerger d'autres.
- Les exercices ne sont pas dures.
- Quoi ?
- Les exercices de l'interro.
- Oh d'accord, continue.
- Après l'allemand, j'enchaîne avec deux heures d'algèbre et je finis la matinée par éducation civique, si on peut appeler ça ainsi.
- Rien à signaler de spécifique ? Qui sorte de l'ordinaire ?
- Non.
- À l'heure du repas, tu ne vas pas à la cafétéria, pourquoi ?
- Je n'ai pas faim.
- Ça t'arrive souvent, de louper un repas ?
(Silence, elle ne répond pas).
(Ils se jaugent mutuellement du regard). - Donc hum tu ne manges pas ?
- Non, je me rends dans la chambre noire pour développer des photos
- Quelqu'un te suit ?
- Non
(soupire). - Ça va ?
- Je suis fatiguée.
- Ce ne sera pas long. Donc tu te rends là bas, tu développes tes photos. Lesquelles ?
- Des photos de la fête dans les bois.
- Quelle fête ?
- Le week-end dernier. Enfin pas celui-ci. Le week-end précédant le 10 mars. Le week-end précédent ma disparition.
- Oui ta mère m'a dit que tu te rendais souvent à la forêt de Lost Pine avec tes amis. Pas loin de la rivière en contrebas ?
- Oui, on traîne près de la vieille cabane.
- Je l'ai aperçu. Il s'est passé quelque chose à la fête ?
- Pas vraiment.
- Donc tu développais les photos de cette fête ?
- Ça ne part pas.
- De quoi ? Qu'est-ce qui ne part pas Annie ?
- La tâche.
- Sur ta main ?
- Non, sur la photo. Je frotte. Je frotte encore. Ça ne part pas.
- C'est gênant ?
- Oui.
- Alors qu'est-ce que tu fais ?
(Elle réfléchit un instant).
(Il regarde sa main trembler sans rien dire) - Je... Je...
(regard perdu). Je disparais.
- Tu disparais ?
- Non je n'ai pas dit ça.
- Je crois que c'est le mot employé.
- C'est le mauvais.
- Par quoi veux-tu le remplacer ?
- Je ne sais pas.
- Quelle est la dernière chose dont tu te souviens ?
- Je me réveille dans la chambre noire. La lumière ne fonctionne pas.
- Comment tu te répères dans ce cas ?
- À l'odeur. J'ai un très bon odorat. Je reconnais les parfums.
- Tu appelles le gardien ?
- J'appelle à l'aide.
- Pourquoi ?
- Pour sortir. J'ai besoin d'air, c'est trop étroit.
- Qu'est ce que tu ressens d'autre ?
- J'ai froid, comme si...
- Oui ?
- Comme si la mort était là.
- Tu te sens en danger dans cette pièce ?
(Silence) Annie ?
(Silence) Annie est ce que ça va ?
- Je ne veux plus en parler.
- Parlons de la tâche, tu veux bien ?
- Ce n'est pas une bonne idée.
- Pourquoi ?
- Vous allez vouloir arrêter.
- Pourquoi Annie ? Pourquoi je vais vouloir arrêter ?
- Mama ! MAMA !
- Ok Annie calme toi, j'arrête, regarde j'arrête l'enregistrement.