CHAPITRE 1 Nous sommes au mois de Juillet 1974 et j’avance d’un pas décidé dans les rues de mon quartier. Une action somme toute assez banale, mais qui prend une toute autre dimension à Harlem. Car si pour beaucoup Harlem est synonyme de misère, pour moi Harlem c’est avant tout la vie, dans toute sa diversité, une sorte de chaos ordonné qui peut vous faire connaître aussi bien le bonheur que le malheure. Le malheur je l’avais vécu quatre ans auparavant lorsque mes deux parents, des importants cadres du Black Panther Party furent condamné à vingt-ans de prison ferme pour avoir préparé un attentat contre le local d’un parti suprémaciste blanc dans le New Jersey. C’est ce triste évènement qui fit de moi une gamine des foyers et qui me permis de voir l’autre côté de cette ville. C’est là-bas que j’entendis une phrase prononcée par une nana du foyer que je n’ai toujours pas oublié et qui est encore aujourd’hui un de mes leitmotiv : “Si nous sommes des singes, alors New-York est une jungle dont nous sommes les rois, alors ne nous laissons plus marcher sur les pieds”. Et c’est avec ces quelques mots en tête que je marche en direction de l'appartement de Keith, mon petit copain de l’époque.
A quelques minutes de mon objectif je passe à côté d’une petite épicerie et je profite de l’absence du vendeur pour chaparder une pomme rouge avant de la fourrer dans ma poche. Malheureusement si mon “crime” avait échappé au regard du gérant, il n’avait en revanche pas échappé aux yeux d’un flic qui était adossé à sa voiture quelques mètres plus loins. Ce policier me bloque le passage et enlève son képis, me dévoilant ainsi sa sale tronche :
“Dis donc négresse, tu pensais quand même pas t’en tirer à si bon compte ? Vides tes poches et sors tes papiers…” Sale tronche de raciste donc… Comme beaucoup de mecs de la police ! Toujours prompte à improviser je compte jusqu’à trois dans ma tête avant de lui lancer la pomme dans la gueule et de partir en courant ! Tant pis pour le goûter, au pas de course je m’enfonce dans un restaurant que je traverse de part en part pour me retrouver dans une autre rue... Comme à la maison je pénètre en courant dans un autre magasin dont l’une des sorties donne sur une petite ruelle à quelques mètres de chez Keith. Je me tape d’ailleurs le sprint de ma vie pour entrer dans son hall d’immeuble… Décidément la famille Acoli avait un sacré problème les forces de l’ordre.
Un peu essoufflée je monte tout de même les marches deux par deux avant d’entrer dans “ma” cachette. J’y retrouve finalement mon copain tranquillement installé dans un vieux canapé en cuir déchiré à de nombreux endroits.
“T’as du courrier…” Dit-il tout en me tendant une lettre et en fumant sa clope. J’attrape donc le papier, ma demande de bourse pour l’école de médecine de New-York, je croise les doigts pour ne pas essuyer un refus… et je fini par sauter de joie ! La réponse est positive ! Je me jette alors sur Keith surprit qui en laisse tomber sa clope par la fenêtre… et le reste n’appartient qu’à nous.
CHAPITRE 3Adolescente j’imaginais la faculté de médecine comme un nouvel eden. Un temple du savoir ou des gens cultivé discutent et échangent sans faire attention aux origines ou à la classe sociale de l’autre. Mais en réalité j’étais bien loin du compte. Seule noire de ma promotion je fus rapidement embêté par le doyen qui sous la pression de plusieurs familles d’étudiants tenta de me retirer ma bourse d’étude. Evidemment il ne m’expliqua jamais clairement que c’était à cause de ma couleure de peau, mais c’était tout comme… Fort heureusement quelques associations antiracistes me soutirent dans mon combat qui se solda par une victoire. La première d’une longue série qui me mena finalement jusqu’au podium sur lequel je suis aujourd’hui… En effet j’avais gagné la guerre, j’étais allée au-bout de mes quatre années d’études universitaires. Et c’est donc en repensant à toutes mes difficultés, à toutes mes galères que je m’avance en direction du doyen pour récupérer mon diplôme.
Heureuse comme tout je récupère mon papier et remercier cet enfoiré avant de jeter un oeil à la foule. J’y vois quelques amis du foyer, des amis de la famille, mais hélas les deux personnes que j’aime le plus au monde ne sont pas là. Et c’est normal… ils sont toujours en prison… J’essaie donc de garder le sourire le plus longtemps que possible, mais en descendant les marches de l’estrade, je croise le regard d’une de ces petites connes qu Queens, une “fille de” pleine de condescendance qui me demande où sont mes parents avec un grand sourire narquois… Là mon sang ne fait qu’un tour, je la pousse violemment contre le mur derrière nous avant de lui lancer un regard noir :
“Dis n’oublies pas que j’ai grandi à Harlem et qu’à cet instant précis je n’ai plus de comptes à rendres au vieux déchet derrière nous… Donc si jamais tu veux récupérer ton diplôme en un seul morceau je te conseille sérieusement de faire attention à ce que tu sous-entends… ha et… prends bien ce diplôme, car c’est bien la seule chose qui fera de toi un médecin…” En effet pour moi les espèces de petites bourgeoises élitistes comme elle ne méritent pas de devenir médecin. La médecine est sans doute l’une des plus belles voies qui existe et elle ne doit pas être salie par des mauvaises personnes. C’est d’ailleurs pour ne pas en être une que je me suis retenue de ne pas lui mettre un bon gros coup de poing dans la mâchoire après sa petite provocation. Et puis contrairement à ce que j’avais pu lui dire quelques secondes auparavant je devais encore faire attention à mon comportement. Oui venait d’être fraîchement diplômée, mais j’allais devoir trouver un hôpital qui accepterait de me prendre en interne pendant deux ans… et même si je m’éloigne de la peste confiante, je sais très bien que qu’il y a encore un long chemin devant moi et que la route sera longue.
CHAPITRE 3Assise dans un fauteuil en cuir trouvé et grinçant je regarde les aiguilles de l’horloge accrochée au mur tout en essayant de ne pas m’endormir. Il va bientôt être quatre heures du matin et je suis seule au dispensaire médical de Brooklyn, un endroit que l’on pourrait facilement comparer à la cour des miracles. Depuis le début de la nuit j’avais pu voir des mecs trop alcoolisé qui s’étaient blessé, des camés en manque de drogues, des hypocondriaque paranoïaque et je n’avais presque pas eu le temps de me reposer. Et en regardant l’heure avancer sur la montre, je soupire, c’est bientôt l’heure de la sortie des boîtes de nuit, je vais sans doute devoir accueillir tout un tas d’imbéciles et de fous dangereux. Certains p’tits blancs étaient-là à faire leur année d’internat dans de grands établissements new-yorkais et moi j’étais là…. au milieu de la misère… Mais bon au moins je n’étais pas dans l’inconnu le plus complet ! Je restais dans mon milieu, dans ma caste, ma classe sociale.
Cependant je voulais sortir de cette spirale infernale car en un an et demi j'ai perdu énormément d'amis... à commencer par mon petit copain Keith qui s'était fait descendre en bas de son immeuble à cause d'une sombre histoire de drogue. C'est pour cela que qu'il y a quelques jours, j'avais demandé à être affecté dans un cabinet médical loin de la Big Apple, un endroit un peu plus calme ou on me laisserait le temps d'oublier le passé...
Mais alors que mes paupières commencent à se faire lourdes, le téléphone sonne… sauvée ! Quoi que... Perplexe je décroche et lève un sourcil, je reconnais directement la voix de Madalena, la concierge latino de l’immeuble dans lequel je vis. “Madalena que ce passe-t-il… ?” La vieille mexicaine ne tarde pas à me répondre avec un accent particulièrement prononcé. Elle m’explique alors rapidement et comme elle peut que ma demande a été accepté et que d’ici la rentrée 1985 j'allais pouvoir travailler en tant que médecin généraliste en province, dans une petite ville du Maine nommée Aster Cove… Une cité inconnue au bataillon, mais qui ne pouvait pas être pire que la jungle du Bronx… Je remercie alors mon adorable concierge pendant de longues minutes - sans me rendre compte que pour apprendre la nouvelle la gentille dame avait sans doute lu mon courrier - avant de raccrocher et d’hurler un bon coup dans le cabinet. C’était une nouvelle vie qui allait s’offrir à moi…