Cause god makes no mistakes
Isaac & Annunziata
Tu me voyais toujours, n’est-ce pas, Ange ? Tu voyais toujours ce sourire de l’autre jour, à l’église. Tu sentais encore mes mains sur tes cuisses. Mes yeux. Toi qui les aimes tant, pourquoi n’arrives-tu plus à les regarder ?
Ce matin, en te levant, tu as retiré ta “perruque de nuit” pour caresser mes cheveux. Cheveux courts, fins, que tu préfères couper pour mieux mettre tes artifices. Mais aujourd’hui, tu préfères me laisser ta place. Pour la première fois depuis trois ans, tu acceptes de me laisser respirer. Alors tu retires ta chemise de nuit avant de filer sous la douche.
Je ressors, torse nu, serviette à la taille avant de me poser devant le miroir. Regarde-moi bien, Ange. Es-tu sûre de vouloir cette situation ? Un soupire s’échappe de tes lèvres. La porte de l’armoir grince. Tu te souviens, Ange ? Quand nous sommes arrivés à Aster Cove, toi, à peine 15 ans, avec ta jupe en cuire et ton carré, moi, bien caché dans ta valise. Aoki t’avait convaincue de prendre mes vêtements, en cas d’urgence. Toi, tu avais accepté simplement pour qu’elle te laisse tranquille. Et finalement, ce pantalon et ce t-shirt avaient eut le temps de prendre la poussière, depuis deux ans et demi, dans cette protection en plastique toute usée. Le pantalon me va toujours, par contre, le t-shirt est trop juste. J’enfile un débardeur et, tout en le fourrant dans mon pantalon, je travers les couloirs étroits de la baraque.
- Théo, t’aurais pas une chemise à me prêter ?
Pour la première fois depuis que je le connais, Théodore me regarde avec des yeux ronds. C’est vrai que lui et moi, on ne s’est jamais vraiment rencontré. Il fronce les sourcils un instant et se lève sans un mot de sa chaise pour me refiler une vieille chemise jaunie. Mon corps chétif se noie dedans mais peu importe. Je retourne dans ma chambre pour essayer d’arranger un peu mon apparence. Sans maquillage, mon visage a l’air plus jeune, plus creux. J’ai l’air d’un enfant rentrant à peine dans l’adolescence plutôt qu’un jeune homme de dix-huit ans. Un soupire s’échappe de mes lèvres. Un dernier coup de peigne, derniers préparatifs et c’était bon.
Aujourd’hui, la porte d’entrée de la bigotte a l’air plus grande, plus intimidante. Je déglutis. Ca va bien se passer. Tu croies ? Et finalement, l’air frais fait enfin la rencontre de mon corps de garçon. Une boule se forme au niveau de ma gorge. Et la journée d’Isaac le garçon commence aujourd’hui.
Les habitants d’Aster Cove ne semblent pas te reconnaître. Il passe à côté de moi, sans un regard, ou alors une oeillade curieuse l’espace d’un instant. Certaines adolescentes me sourient même, gloussant quand j’hausse un sourcil. Je garde plaqué contre mon torse le livre que tu as emprunté la semaine dernière. L’autobiographie de Lili Elbe publiée en 1933 et rééditée il y a quelques années. Le livre était tout abimé, parfois gribouillé par les plus idiots de cette ville mais c’était une véritable bible pour Ange. Elle passait son temps à le rendre et le réemprunter. Mais aujourd’hui, ce serait peut être la dernière fois.
Isaac pénètre la bibliothèque. Il avait toujours apprécié le calme et la sérénité qui régnait dans cet endroit. Ici, personne ne pouvait le frapper, le juger, il était juste seul avec les pages cornées et tachées d’encre. Il s’avance vers la bibliothécaire d’un pas peu rassurée. Même la démarche d’Isaac était différente de celle d’Ange. Les premiers sons qui sortent de ma bouche sont assez aiguës, par habitude. Je me racle la gorge pour reprendre une intonation plus naturelle.
- Bonjour Madame Garaffi. Je viens rendre ce livre.
La voix d’Isaac n’était pas bien grave. Une intonation douce pour un garçon, une gorge un peu enrouée. Isaac n’aimait pas parler aux gens. Sans sa perruque, il était complètement perdu.
CODE BY MAY.
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