many voices / many gods and many voices
1969. T'as voulu fêter tes dix ans en grande pompe et tes parents ont mis la main au portefeuille pour que toi et toutes tes amies passent l'après-midi sur une piste de roller. Tu pousses la frime et peu trop loin et finis à l'hôpital, pour une fracture ouverte au genou.
T'as passé l'été coincée chez toi, la jambe cuisant dans ton plâtre, comme dans un mauvais remake de Fenêtre Sur Cour, et tu l'as passé devant la télé, à suivre info par info, ce qui est toujours, pour toi, deux des plus grands événements historiques.
Fin juin, tu regardais Marsha P. Johnson et d'autres figures de l'histoire se révolter contre la police, au Stonewall, à seulement quelques quartiers de chez toi, les poings serrés, sans trop savoir de quel côté tu étais. Du haut de tes dix ans, tu ne comprenais pas encore trop la situation, ni de quoi tes parents se plaignaient lorsque que tu en parlais avec des étoiles dans les yeux ; t'admirais juste l'énergie, le courage de ces gens. Tu voulais les rencontrer.
Comme si tu n'avais pas à te remettre de tes émotions, le mois suivant un certain Michael Lang s'est décidé le même été à organiser un petit festival du nom de Woodstock. T'as demandé à tes parents de t'acheter tous les journaux qui en parlaient ; t'as commencé à écouter Janis et Hendrix ; les hippies envahissaient toute ta vie. Depuis tu as acheté le film, les enregistrements, tu les protèges et les promènes comme des reliques temporelles te permettant de remettre ta jambe dans le plâtre, de revivre ton été.
and she means everything to me
1976. William t'a emmenée dans un bar pour la première fois ; tu n'as pas l'âge pour boire et il est clair qu'il s'agit d'un bar gay. Tu bois et le samedi suivant, tu y retournes. Tu t'y sens à ta place, tu surpasses tes peurs et tu commences à expérimenter. Tu deviens une régulière.
Là-bas tu obtiens tes premiers jobs de stylisme ; en secret, loin de tes parents, tu dessines et couds des tenues pour des drag queens, pour un salaire respectable que tu dépenses au même endroit. Tu te fais un petit nom, mais tu fais bien attention à ce qu'il n'aille pas plus loin que la communauté gay de New York.
Tu te trouves ta première petite amie, Poppy ; une hippie, une vraie, quand tu regardais Woodstock à la télé elle trempait ses pieds dans la boue du festival. Vous riez ensemble, tu lui parles d'histoire et de mode. Vous marchez main dans la main à ta première gay pride, une des premières, ton cœur se soulève au rythme des bannières et de la musique. Tu veux en parler à tes parents, mais tu sais très bien qu'ils ne l'accepteraient pas et t'es pas prête à te les mettre à dos juste avant d'entrer à l'université.
you ain't gonna get your money back
1980. C'est sûrement ta colocataire à l'université qui a craché le morceau, en tous cas tes parents sont au courant ; et au téléphone ils te font rapidement comprendre que ce n'est pas la peine de rentrer à la maison. Tu bouillonnes, de peur et de colère ; tu te retiens d'aller tabasser ta colocataire et prends ton mal en patience.
Tu te venges le lendemain, quand t'es sûre qu'ils ont tous les deux quittés l'appartement. Tu piques tout ce que tu trouves -après tout t'auras bien besoin d'argent pour te remettre sur pied- ; tu casses tout ce que tu peux, tu mets les bibliothèques et tout le contenu des étagères à terre, et ça fait peut-être folle furieuse, mais tu quittes l'appartement le cœur un peu plus léger.
Tu loges quelques jours chez William, mais la peur que la police te trouve et de finir en prison te consume ; tu finis par monter dans le premier train et te laisser guide. Pour aussi longtemps que t'es sur la route tu te gargarise de cette idée de hippie, de voyager au gré des vents sans personne pour te retenir. C'est ton porte-monnaie maigrissant à vue d'oeil qui finit par te forcer à piler net, à te poser, à trouver un travail. Tu trouves ça beaucoup moins drôle.
you're like joan of arc. great ideas, badly executed
+ tu le sais pas, tu penses que c'est pareil pour tout le monde, mais t'es atteinte de synesthésie son-couleur ; chaque sonorité, chaque mot, a sa ou ses propres couleurs.
+ t'es incollable en mythologie grecque.
+ si tu avais fini tes études, tu aurais un diplôme en histoire : t'aurais probablement commencé à faire de la recherche sur les communautés gay, mais bien évidemment, ça n'a pas eu lieu.
+ sans vouloir te vanter, tu possèdes une assez impressionnante collection de badges.
+ tu es autodidacte en couture, broderie, crochet, tricot ; c'est pas les compétences les plus glamour mais au moins ça te sert dans la vie de tous les jours, et t'es assez douée pour porter ce que tu fais.
+ tu as une sainte terreur des loups et des gros chiens ; que tu les voies dans la vraie vie, à la télévision, ou même dans des livres, t'as la même phobie intériorisée depuis longtemps que tu vas te faire bouffer toute crue.
+ tu es gauchère et tous tes profs ne se sont pas gênés pour se faire remarquer que ton écriture est illisible ; t'as fini par les croire.
+ t'as commencé à apprendre le français au lycée ; t'étais pas douée mais t'adorais la langue, alors t'essaies, encore aujourd'hui, d'apprendre du vocabulaire et de te débarrasser de ton accent.