Half here, Half away(Kay/Forrest)

La journée avait été longue, et pas des plus agréables en plus. Entre les gémissements de la chambre voisine qui l’avaient empêchée de dormir une bonne partie de la nuit et ceux qu’elle avait dû feindre à pas une, mais deux reprises aujourd’hui, elle n’avait plus envie de grand-chose d’autre que de quelques verres pour brûler sa gorge et noyer ses pensées. Pas grand-chose ne pouvait apaiser son esprit mieux que l’alcool, après tout, et ce soir peu lui importait que les foutus commères du coin aillent raconter ses frasques à ses parents ou que d’anciens camarades viennent lui adresser la parole, elle ne pouvait pas rester terrée dans ce foutu motel jusqu’à la fin de ses jours de toute façon, ce soir serait sa première sortie dans cette foutue ville trop familière.

Son manteau noir jeté sur ses épaules, elle ferma la porte de sa chambre derrière elle et commença à marcher. Le bar le plus proche – le seul de cette foutue ville, à vrai dire – était assez proche pour s’y rendre à pieds. Pas qu’elle ait vraiment d’autre moyen de transport de toute façon. La nuit est fraîche et son souffle se décalque en blanc sur le ciel sombre. Bientôt c’est la fumée de sa cigarette qui fait de même. Les rues de la ville sont désertes, les fenêtres des maisons allumées.  « We are all just prisoners here, of our own device », on dirait bien que l’Hotel California d’Eagles a ses similarités avec Aster Cove.

Quelques minutes plus tard, la voilà devant sa destination. Après avoir pris quelques instants pour regarder la plage, dont le sable mouillé reflète délicatement la lumière de la lune, et s’être promis d’y faire une promenade une fois alcoolisée, elle se décide. Alors elle ouvre la porte – non sans quelques soucis – et se retrouve frappée par les effluves d’alcool et les décorations irlandaises un peu kitsch à chaque coin de table. Il y a du monde, plus que ce à quoi elle s’attendait. Ça la convaincrait presque de faire demi-tour, presque, mais elle a vraiment trop besoin d’un verre.

Elle s’avance vers le comptoir d’une démarche un peu incertaine, personne ne lui prête vraiment attention, tant mieux. Alors qu’elle s’apprête à faire un signe au barman pour commander son premier verre, la personne devant elle se retourne. Une étrange impression de déjà vu la fige presque sur place alors qu’elle essaie de se remémorer l’origine de ce visage, de le replacer dans un contexte de ses souvenirs, en vain. Pourtant ce n’est pas une erreur, la jeune fille qui lui fait face a l’air aussi étonnée qu’elle. Et soudain, un souvenir remonte à la lisière de sa conscience, un petit garçon de son âge, avec les mêmes yeux et presque le même regard. Ça n’a pas de sens, et pourtant, elle ne peut pas s’enlever de la tête l’impression que la jeune femme et le petit garçon de son souvenir ne sont qu’un.


« Forrest... ? »