demon rhapsody, prelude

La terreur ne le quitte plus, comme un poids au fond de ses entrailles qui enfle et se dégonfle au rythme des jours, des heures, des minutes. Il y a des pointes d'horreur glacée, quand il croit entendre un grognement affamé, quand il sursaute dans les quelques minutes de sommeil grappillées par accident, et il y a un long fil d'angoisse, sans fin, qui serpente calmement dans ses veines. L'inquiétude est perpétuelle, mal chronique qui tend ses muscles jusqu'à les rendre douloureux. La faim et la fatigue, du corps et des nerfs, n'arrangent rien à cet état second dans lequel baigne Camden.

La peur le rend amorphe, a-t-il vite découvert. La peur lui pétrifie le corps mais lui glace aussi le sang, ralentit le fluide d'énergie qui anime ses gestes. Camden n'a jamais fait preuve d'une énergie flamboyante comme sa mère ou Jonah, et le peu qui lui coule sous la peau en pâtit ici bas. Livré à lui-même, face à la plus grande incompréhension de sa vie, il a plus de bas que de hauts, et lutte peu contre cette apathie qui lui paraît implacable, immense, au prisme de sa panique. Sur le moyen terme, elle risque de lui coûter la vie -elle a déjà failli le faire dès son arrivée, quand la créature l'a pistée dans ce qu'il croyait être en sécurité.

Dans ce monde, rien n'a l'air sûr, maintenant.

C'est son corps qui tire Camden hors de sa tranquillité mortelle, et ses pas le mènent sur des lieux qu'il a fréquenté, à la recherche d'amarres, du souffle qui balaierait le choc qui le tient pieds et poings liés, enserre sa gorge, rend ses yeux fous. Il rase les murs, aux aguets, poussé loin de chez lui depuis sa rencontre avec le monstre -il ne cherche pas forcément des endroits qu'il apprécie, simplement quelque chose qui lui semble assez familier pour s'y raccrocher. De véritables bouffées d'air, dans le brume asphyxiante de l'autre côté du miroir.

Camden passe la porte des Ferretti aussi silencieusement que possible. Son cœur fait un boucan infernal, qui semble résonner dans l'entrée déserte. Il resserre entre ses mains le tuyau en métal qu'il a dégoté en chemin, prenant la première chose qui lui semblait assez solide, en se forçant au geste -à la survie. Ses élans mélancoliques ressortent ici avec une force inquiétante, comme ravivée par le tableau gris, les particules lourdes dans l'air. Camden n'est pas sûr qu'il se défendra, à la prochaine attaque. L'engourdissement de l'être qui le prend plonge le reste dans une obscurité épaisse. Il est incapable de penser aux raisons de vivre : il lui faut d'abord comprendre où il se trouve, et avoir surtout la certitude qu'il n'est pas encore mort.

La maison semble vide. C'est la même chose ici comme ailleurs : tout semble vide, mais rien ne l'est jamais complètement. Dans le fond de l'air résonnent des craquements sinistres et des cris étouffés, sur le fond du ciel entre jour et nuit rôdent des ombres inquiétantes et le froid est si insidieux qu'il en devient presque tangible contre la peau gelée du violoniste.

Il s'immobilise soudain, pris de court. Un instant il croit sentir. Une note de douceur, demi-mesure furtive sur la pourriture ambiante. Un souffle sucré, une odeur moelleuse, l'éclat amer du chocolat, comme un point sur la partition. Camden inspire ; le filet n'est plus, évanoui aussi vite qu'il est apparu -à son nez ou à son esprit confus, il l'ignore. Camden le laisse filer : il ne sait plus vraiment ce qui est réel ou non, et il préfère ne pas y songer. Ce serait se heurter aux hallucinations qui hantent ses jours, à sa sanité qui tangue au fil des illusions -il finirait par perdre pied. Il avance, ravale cette note furtive, aussi douce qu'elle pourrait être létale ; il découvre le salon et la cuisine, s'arrête avant d'y pénétrer réellement. Les espaces ouverts l'angoissent.

Il prend la direction de l'étage. Les escaliers sont silencieux sous ses pas mal assurés -il a à l'esprit sa première heure, les bruits de pattes affamés dans les escaliers de chez lui. Tremblant, il grimpe. Ce monde grouillant de bruits se tait lorsqu'il ne devrait pas. Ces silences anormaux, comme si l'on avait étouffé jusqu'au plus petit son, hérissent la nuque du musicien. Ne pas pouvoir se fier à son ouïe fine est un autre coup porté à son équilibre.

L'étage est aussi mort que le rez-de-chaussée. Camden tend irrémédiablement les sens, aussi affûtés qu'élimés par l'angoisse latente. C'est la première fois qu'il met les pieds à l'étage, mais au milieu du brouillard, à la fois engourdi et alerte, la pensée ne lui traverse pas l'esprit. C'est d'ailleurs la première fois qu'il entre vraiment chez Ferretti, où il s'est contenté de passer simplement un jour, jetant un œil curieux au salon, à l'entrée, au peu qu'il pouvait voir, avant de devoir filer à l'orchestre. Cette réplique lugubre n'a pas grand-chose à voir avec les accents de chaleur d'alors.

Camden pousse une première porte. Elle s'ouvre sur de nouvelles ombres, un héritage poussiéreux de peluches éventrées et de livres éparpillés au sol -la majorité est soit déchirée, soit imbibée d'un liquide épais et sombre. Camden en détourne les yeux avant d'en voir trop, et dans le couloir, un poster affiché sur le battant de la pièce suivante attire son attention. Il laisse la chambre pour faire quelques pas, et manque un battement en découvrant la tache blanche du poster, reconnaissable entre mille. C'est le blanc du pantalon fétiche de Freddie Mercury, élancé vers le ciel en une pose dramatique.

Sans attendre, Camden approche, et ouvre la porte de la chambre d'Andy.

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