en travers les néons (marel)

la gueule dans un coin du dinner, t'as les yeux rivés sur les bouloches de ton pull jaune moutarde ; ça fait comme un champ de blé qui a trop poussé sur tes bras. ça cache le dessous tout pâle, tout frêle, tout toi. t'observes les veines bleutées de ton poignet qui r'ssemblent aux arbres de ton jardin quand viennent les jours de neige. c'est joli mais ça manque de feuilles. c'est p't-être pour ça que t'as froid en dedans. les minutes s'égrainent et tu continues l'inspection de ta peau, comme si les autres clients ne t'observaient pas à leur tour, comme si c'était habituel de t'voir au dinner un samedi soir. tu ne relèves pas les regards pesants et les narines plissées de dégoût. tu déambules à aster cove depuis quinze ans ; pourtant, ils ne se sont pas encore fait à ta gueule. l'adaptation, c'est pas leur fort.
et papa et maman qui ne voient rien et papa et maman qui sont fiers de toi. un sourire amer s'étale sur tes lèvres sèches. ta vie est une putain de grosse blague. t'es la marionnette d'un type à l'humour qui craint du boudin (certaines personnes l'appellent dieu paraît-il) -
tu soupires avant de prendre une gorgée de ton milkshake caramel. un peu de douceur sur ta langue et sur tes lèvres. la glacée pilée te réchauffe.
t'es seule sur la banquette rouge. papa travaille alors que maman est à son club pour femmes quarantenaires qui aiment se réunir pour parler de choses inutiles tout en mangeant du cake du vin pas trop cher ; t'es toute seule mais ça te fait trop rien. aujourd'hui, t'es pas allée au lycée donc ça va, y'a déjà eu pire comme soirée.