Dans la petite ville d'Aster Cove, des choses étranges se passent...

 
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Scarlett King
Scarlett King
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MessageSujet: Spread your wings    Spread your wings  EmptyMar 26 Mar - 21:34

Ca y est. C'était fini. Cela faisait une semaine maintenant que j'avais fait le grand saut. Que j'avais ouvert les vannes sur des années de silence, des années de douleur muette. Jamais la maison n'avait autant ressemblé à un tombeau. Le silence oppressant qui y régnait n'était entrecoupé que par les sanglots de ma mère et les crises de rage de mon père. Je ne comptais plus les bibelots qu'il avait brisé. Pourtant, depuis que j'avais raconté l'épisode le plus affreux de mon existence, ils n'osaient plus me regarder dans les yeux. Ni ma mère, ni mon père, ni même T.J.

Leur en parler avait été encore plus dur que de me rendre au poste de police. Plus dur que d'avouer à un inconnu qu'on avait abusé de moi quand j'étais encore une enfant. De justifier mon silence jusqu'alors. On m'avait informé qu'il n'y avait pas de prescription dans le Maine concernant les viols sur mineurs. Que si je maintenais ma plainte, il y aurait un procès et que compte tenu du cadre dans lequel les abus avaient eu lieu, que celui ci serait sûrement médiatisé. J'avais eu la nausée rien que d'y penser et j'avais vraiment songé à tout laisser tomber. Mais je me le devais. Je le devais également aux autres petites filles qui pourraient être victimes de ce monstre. J'avais peur bien sûr. Peur des conséquences de tout ça, des répercussions sur ma vie. Rien ne restait jamais secret très longtemps dans le monde des concours. La police avait déjà commencé à interroger leurs instances. J'avais même perdu mon titre de Miss Teen Maine car j'étais à présent « au cœur d'un scandale sexuel ». C'était une drôle de façon d'évoquer la chose. J'étais reléguée au même rang que les candidates ayant fait des photos de charme. Je n'avais pas encore eu de nouvelles de la fac mais le fait qu'on me retire ma bourse d'étude ne m'étonnerait pas. Cela me faisait plus de mal que la perte de ma couronne. Je m'en fichais un peu à vrai dire de ce titre de miss. Cela faisait longtemps qu'il avait perdu tout attrait pour moi.

J'avais peur, mon dieu ce que j'avais peur. Les mois à venir allaient être un véritable cauchemar. Je les entendais déjà me reprocher la même chose que le juriste du concours qui m'avait retiré mon titre. Allaient-ils dire que c'était de ma faute ? Qu'à force de parader devant des hommes d'âge mur il ne fallait pas m'étonner que ça leur donne des idées ? Que mes parents n'auraient jamais du le laisser s'occuper de moi ? Que si c'était vrai, j'aurais parlé avant ? Que je ne cherchais qu'à attirer l'attention ? Mais qui voudrait de ce genre d'attention ? J'étais terrifiée à l'idée que les pires moments de mon existence soient analysés, disséqués, vomis sur la place publique. J'avais peur de faire encore plus souffrir mes parents. Peur que mon père mette ses menaces à exécution et rende sa propre justice d'une balle dans la tête. Peur que mes rapports avec ma famille ou mes amis changent irrémédiablement.

Ces angoisses n'étaient pas nouvelles. C'est elles qui m'avaient maintenue silencieuse pendant tout ce temps. J'avais fini par me libérer de mes chaînes, par tout laisser sortir. Je pensais que cela me libérerait d'une certaine façon. Pourtant, ce n'était pas ce que je ressentais. Plus que jamais, j'avais l'impression qu'une chape de plomb m'entourait et que ma respiration se faisait laborieuse. Je n'avais jamais été courageuse. Parler, me lever le matin, regarder les gens dans les yeux, tous ces gestes normalement anodins étaient un combat. Mais les dés étaient jetés et je ne pouvais plus qu'espérer. Croire en la justice et bien m'entourer. Et surtout faire face à la tempête à venir. En attendant, je laissais le vent ebourifer mes cheveux et faire tanguer la balançoire sur laquelle j'étais venue me réfugier.
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Kenny Holland
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Kenny Holland
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MessageSujet: Re: Spread your wings    Spread your wings  EmptyVen 5 Avr - 14:09

Clope au bec, casque aux oreilles, Kenny traîne les pieds dans les rues désertées de la ville. À croire que le vent a fait fuir les passants, à croire que le froid montant de l'hiver a repoussé des détours bétonnés tout le monde. Seuls quelques gosses jouent à chat en remuant les feuillages morts qui jonchent le sol. Le jeune homme les toise en passant, d'une inexplicable mauvaise humeur. Il y a des trucs qui le dérangent en ce moment. Des trucs qu'il a entendu. Des bribes de phrases qu'il a attrapées au vol, lorsqu'il a croisé des ménagères au magasin. Le nom des King sur quelques lèvres voraces.

Et on n'entend pas le nom des King sur les bouches des commères, normalement. Jamais. Les King, ce sont les stars de la ville ou presque, LA famille clean, LA famille exemplaire entre toutes. Riches mais pas trop, conservateurs mais pas trop, avec la petite starlette qui fait chatoyer ses proches par sa brillante carrière.

Il souffle sa fumée cancer, range le stick entre ses lèvres pincées et s'avance. Une silhouette au loin attrape alors son attention. Chevelure blond clair cascadant sur des épaules fragiles, une balançoire isolées dans un parc pour enfants désert. L'ambiance était presque glauque et Scarlett semblait trop similaire à un fantôme dans ce paysage décharné.

« Hé ! »

Le jeune homme accélère, ses pas brisant les feuilles mortes sur lesquelles ils passaient. Mains dans les poches, il s'approcha et lança un bref regard au dos de la demoiselle. Une pause. Ses jambes hésitèrent brièvement avant de repartir. Il se posta face à elle, s'adossa à l'ossature grinçante de la balançoire.

« Qu'est-ce que tu fous là, toi ? »

Sa voix était pareille à elle-même, grave et nonchalante. Il tira sur sa clope en la regardant, ne la quittant pas des yeux. Quelque chose se passait, il le savait, il le craignait presque. Il balança son poids d'un pied à l'autre, se replaça. La question était silencieuse, mais il espérait obtenir une réponse.
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Scarlett King
Scarlett King
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MessageSujet: Re: Spread your wings    Spread your wings  EmptyVen 5 Avr - 21:54

Cric. Cric. Cric. Le bruit strident de la vieille balançoire résonnait dans le silence de ce parc à jeux. Les ménagères l'avaient progressivement abandonné au fil des ans car il n'était pas entretenu. J'y venais souvent quand j'étais petite lorsque Papa venait en permission. Ce lieu était alors synonyme de joie et de moments en famille. De quelques moments d'angoisse aussi. La cage à écureuil un peu plus loin avait été le lieu d'un drame il y a plusieurs années quand TJ en était tombé et s'était ouvert le menton. Maman n'avait jamais oublié cet histoire et mon frère exhibait fièrement la fine cicatrice qu'il en avait retiré comme si c'était une blessure de guerre, les yeux pleins d'étoiles.

Il ne l'avait plus cette étincelle. J'avais peur de l'avoir fait disparaître pour toujours. En fait, j'aurais préféré que TJ n'apprenne jamais rien. Qu'il ne sache jamais ce qui m'était arrivé. J'aurais tant aimé préserver son innocence. Mais TJ n'était pas le genre d'adolescent à qui l'on pouvait cacher des choses. Ses oreilles étaient partout et il était très intuitif. Trop peut être.

Et soudain un son, une voix si familière qui en une syllabe à peine m'avait parcouru d'un long frisson. Kenny. Je ne me retournais pas, pas tout de suite. J'étais troublée. Terrorisée aussi. Je ne savais pas ce qu'il avait pu entendre. Je ne savais que trop à quelle vitesse les rumeurs circulaient à Aster Cove. Amplifiée, déformées, travesties. J'aimais me dire qu'en franchissant les portes du commissariat j'avais tiré un trait sur ma vie d'avant. Que j'étais prête à affronter ce que la vie me jetterait au visage (même si au fond je savais que je ne l'étais pas). Mais lui... Lui. J'avais peur de le regarder dans les yeux. Peur de ce que je pourrais y lire. Je triturais mes mains, ne sachant pas quoi faire de mon corps, me contentant donc de secouer mes jambes dans le vide en essayant de me recomposer. Je savais que mes yeux étaient encore bouffis d'avoir trop pleuré ces derniers jours.

Et voilà qu'il était devant moi. Je ne pouvais éviter éternellement son regard alors j'avais fini par poser mes yeux sur lui, tentant un pâle sourire mais échouant lamentablement.

« Je me cache »

Je détournais les yeux. Mes dents venant mordre mes lèvres en un réflexe idiot. C'était toujours comme ça quand je tentais de masquer mon trouble. Kenny était sérieux. Trop sérieux. Je sentais ses prunelles me brûler alors que je fixais obstinément le sol. L'atmosphère était lourde, m'enserrait le cœur et tandis que j'essayais d'ouvrir la bouche pour parler, expliquer, rien ne sorti. Quelque chose fini par craquer en moi, rompant les digues sans pour autant libérer ma gorge nouée. Un sanglot m'échappa tandis que je me jetais dans les bras de Kenny, l'agrippant comme une bouée pour un naufragé. Je ne fis même pas cas de sa cigarette et du risque que mes cheveux prennent feu. J'avais juste besoin de lui, besoin qu'il me prête un peu de sa force car, en cet instant, je n'en avais plus. Peut être le serais-je un peu trop fort. Peut-être qu'il allait me prendre pour une folle. Pourtant, à cet instant, il était mon unique refuge.
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