On a toujours fait croire à Freya qu'elle valait mieux que tout le monde. On lui a sans cesse répété qu'elle était au dessus des autres, qu'elle était exceptionnelle, fabuleuse, divine. Depuis le berceau et même le ventre de sa mère, elle est vénérée. D'une Déesse, elle n'obtint pas que le nom ; elle en reçut aussi l'adoration.
Lorsque l'on est une gamine et que l'on vous traite en princesse, que l'on vous choie comme la plus précieuse des reliques ou que l'on cherche à vous faire briller à la façon des pierres les plus onéreuses, alors évidemment, on ne voit nul autre dans le miroir que la réflexion parfaite d'une tête couronnée.
On a dit à Freya qu'elle était vouée à un avenir grandiose. Sous les traits sincères d'une personne aveuglée d'amour, on flattait la longueur de ses jambes et ses formes timides. « Elle sera mannequin ! » ; et puis l'instant d'après, une autre se levait pour protester et soutenir son intellect : « Ah non, avec des notes comme les siennes, c'est ingénieure qu'elle sera ! » jusqu'à ce qu'une autre voix se joigne au tohu - bohu et s'exprime en ne débordant pas moins de compliments : « Mais avec la voix d'ange qu'elle a, c'est le monde de la musique qu'il lui tend les bras! »
Ainsi, il n'y en eut toujours que pour elle. Elle était le Soleil autour duquel on gravite, celle qui éclaire, celle dont on ne peut se passer. C'est donc sans surprise que la fillette gâtée d'hier est devenue la peste d'aujourd'hui. Véritable diva qu'un père riche ne cesse de couvrir de présents et d'éloges, elle fréquente le monde des broderies d'or et de la vaisselle d'argent sans savoir qu'il existe encore plus aisés qu'eux.
Oui. Freya ne vit que dans un univers d'illusions dont elle n'apprend pas à discerner les ombres et la duperie. Elle ignore qu'au fond, elle n'est que la fille ordinaire d'un homme qui gagne relativement bien son pain. Que, lâchée hors de sa Stockholm natale et de sa Los Angeles qui la vit grandir, elle n'était qu'un visage parmi une marée d'anonymes. L'idée de banalité lui échappe.
Alors lorsque son paternel au parcours amoureux semé de chaos décide de s'installer avec une mère célibataire, la capricieuse déroute. Ce n'était pas tant devoir partager son géniteur qui obstruait sa vision de lycéenne, ça, elle y était habituée. Il pouvait bien avoir autant de conquêtes qu'il voulait, elle n'en n'avait cure du moment qu'elle n'était pas délaissée. Non. Le plus dur, c'était de devoir côtoyer ce garçon froussard qui se donnait des airs rebelles qui la faisait grimacer avec dédain et devoir le considérer comme « demi – frère. » Être deux enfants dans la famille, ça voulait dire partager le pouvoir. Et Freya est un tyran ; elle ne cède son royaume à personne. Voilà donc que le demi – frère devient un sous fifre et qu'elle lui fait connaître l'enfer. Autorité, prétention, coups bas, elle s'amuse à lui cracher son venin tandis qu'il se moque habilement de ses chevilles gonflées. Et malgré tout, sur un coup de tête un peu naïf, les deux écartent leurs différents afin de s'associer dans la musique. Quelque chose d'un peu novateur qui vient gonfler leur égo. Elle chante, il joue des instruments. Il se retire dans l'ombre et lui laisse le devant de la scène. Rien ne pouvait mieux lui convenir. Enfin, le sang et le temps font leur effet, et empêchent Freya d'imaginer cet imbécile bravache s'éloigner d'elle. Mais ça, elle ne lui dira jamais. Non, son truc à elle, ce n'est certainement pas les sentiments. L'amour, elle ne veut que le recevoir et ne parvient pas à le donner.
C'est de cette façon qu'elle obtint sa réputation. Admirée, crainte, respectée, la gamine n'était pas seulement Reine à la maison, elle l'était tout autant à l'école.
Tout ça, c'était jusqu'à ce que l'on vienne cracher la famille Haven à Aster Cove pour une histoire de travail. Une petite ville où l'importance qu'elle avait s'évanouit comme la brume aux aurores. Qui était – elle pour ces gens, si ce n'est qu'une nouvelle tête ? Une autre adolescente à la langue bien pendue pour jaser sur ces histoires paranormales d'un ton railleur ?
Elle a tout perdu, mais bien décidée à reconstruire l'Empire laissé derrière elle, Freya continue à battre des cils, un sourire angélique aux lèvres pour dévoiler sa lignée de crocs. Elle se pense extraordinaire, mais il n'en n'est rien, aussi se bat – elle pour récupérer cet écrin de lumière qu'on a osé piétiner en faveur des rumeurs. Le quartier et le lycée n'ont qu'à bien se tenir, car elle ne compte pas ne rester qu'une des mille et une ombres qui partagent la nuit.