La nuit était fraîche et Sandra, encore en tenue après une soirée passée à servir des habitués au dinner, regrettait de ne pas avoir pris de veste. Une moue greffée sur son visage, elle s'accrochait aux différents lampadaires croisant sa route, comme si l'ombre avait pu receler un terrible danger.
C'était absurde, et elle ne le savait que trop bien. Mais depuis l'incident en forêt, elle ne parvenait plus à être tranquille. La moindre branche qui osait craquer sur sa route lui arrachait un frisson et parfois même un sursaut. Les trois quarts du temps, il s'agissait uniquement d'un chat occupé à profiter de ses capacités nyctalopes. Le quart restant était l'action d'un rat et parfois même d'un simple courant d'air. Rien qui ne nécessite vraiment la bombe au poivre maison qu'elle portait dans son sac. Pour toute excuse, Sandra n'avait que le fait qu'elle rentrait à des heures trop tardives pour sa propre sécurité. C'est donc entourée de chats, de rats et d'une brise plus agressive que d'habitude, que Sandra se mit en route.
Tout aurait très bien pu se passer. Après avoir fermé le restaurant, elle aurait pu décider de prendre la route de Lost Pine, qui était un raccourci jusqu'à chez elle mais qu'elle n'osait plus jamais emprunter depuis l'incident. Une fois sur le chemin, elle aurait pu tranquillement s'effrayer du bruit du vent ou de celui des pas d'un chat colérique. Le trajet n'aurait pris qu'un petit quart d'heure, là où il prenait une demie heure en passant par le centre. Elle serait ensuite arrivée chez elle et aurait pu payer la baby-sitter un peu moins cher, lui proposer de la ramener puis aller déposer des baisers sur le front de ses trois enfants. Après ça, elle aurait lu quelques pages de son roman du moment ou d'un comic, puis elle aurait pris sa douche avant d'aller se coucher. Tout aurait très bien pu se passer. Mais au lieu de ça, Sandra avait fui le raccourci pour passer par le centre-ville.
Ce fut seulement lorsqu'elle aperçut la gigantesque silhouette d'un inconnu couvert de sang qu'elle comprit à quel point elle avait eu tort. Très vite, les souvenirs des faits divers de la région illuminèrent son esprit. Très vite, Sandra sentit son cœur se serrer à l'idée de mourir là, tuée par un psychopathe obscur alors qu'elle cherchait à échapper aux crocs d'un chien démoniaque. Très vite, sa main trouva le chemin de son spray artisanal et en pulvérisa l'individu dans un cri.
Et comme si le destin avait voulu se moquer personnellement d'elle, elle remarqua les traces de crocs et de griffures qui maculaient le bras de son vis-à-vis. La montagne jamais croisée en ville auparavant n'avait rien d'un dangereux criminel. C'est la victime d'un animal quelconque. Pas un monstre nocturne, ceci-dit. Sinon, c'est sans bras qu'elle l'aurait croisé. Portant ses deux mains à sa bouche tout en lâchant sa bombe au poivre. Sandra écarquilla les yeux.
« Oh m-mon dieu, je suis désolée, désolée, désolée ! »
Reprenant ses esprits, Sandra sortit de son sac un paquet de mouchoirs qu'elle s'empressa d'ouvrir.
« T-Tenez, essuyez-vous les yeux avec ça ! On va retourner au restaurant et vous rincer les yeux. Désolée, désolée, désolée... »
Tout en attrapant l'un des bras de l'homme, Sandra entreprit de le guider vers les portes tout juste closes du dinner. Ils pourraient s'occuper de ses plaies aussi, au passage.